ZADIG OU LA DESTINEE VOLTAIRE APPROBATION JE SOUSSIGNE, QUI ME SUIS FAIT PASSER POUR SAVANT, ET MEME POUR HOMME D'ESPRIT, AI LU CE MANUSCRIT, QUE J'AI TROUVE, MALGRE MOI, CURIEUX, AMUSANT, MORAL, PHILOSOPHIQUE, DIGNE DE PLAIRE A CEUX MEMES QUI HAISSENT LES ROMANS. AINSI JE L'AI DECRIE, ET J'AI ASSURE MONSIEUR LE CADI-LESQUIERQUE C'EST UN OUVRAGE DETESTABLE. EPITRE DEDICATOIRE DE ZADIG A LA SULTANE SHERAA PAR SADI CHARME DES PRUNELLES, TOURMENT DES COEURS, LUMIERE DE L'ESPRIT, JE NE BAISE POINT LA POUSSIERE DE VOS PIEDS, PARCE QUE VOUS NE MARCHEZ GUERE, OU QUE VOUS MARCHEZ SUR DES TAPIS D'IRAN OU SUR DES ROSES. JE VOUS OFFRE LA TRADUCTION D'UN LIVRE D'UN ANCIEN SAGE QUI, AYANT LE BONHEUR DE N'AVOIR RIEN A FAIRE, EUT CELUI DE S'AMUSER A ECRIRE L'HISTOIRE DE ZADIG, OUVRAGE QUI DIT PLUS QU'IL NE SEMBLE DIRE. JE VOUS PRIE DE LE LIRE ET D'EN JUGER ; CAR, QUOIQUE VOUS SOYEZ DANS LE PRINTEMPS DE VOTRE VIE, QUOIQUE TOUS LES PLAISIRS VOUS CHERCHENT, QUOIQUE VOUS SOYEZ BELLE, ET QUE VOS TALENTS AJOUTENT A VOTRE BEAUTE ; QUOIQU'ON VOUS LOUE DU SOIR AU MATIN, ET QUE PAR TOUTES CES RAISONS VOUS SOYEZ EN DROIT DE N'AVOIR PAS LE SENS COMMUN, CEPENDANT VOUS AVEZ L'ESPRIT TRES-SAGE ET LE GOUT TRES-FIN, ET JE VOUS AI ENTENDUE RAISONNER MIEUX QUE DE VIEUX DERVICHES A LONGUE BARBE ET A BONNET POINTU. VOUS ETES DISCRETE ET VOUS N'ETES POINT DEFIANTE ; VOUS ETES DOUCE SANS ETRE FAIBLE ; VOUS ETES BIENFAISANTE AVEC DISCERNEMENT ; VOUS AIMEZ VOS AMIS, ET VOUS NE VOUS FAITES POINT D'ENNEMIS. VOTRE ESPRIT N'EMPRUNTE JAMAIS SES AGREMENTS DES TRAITS DE LA MEDISANCE ; VOUS NE DITES DE MAL NI N'EN FAITES, MALGRE LA PRODIGIEUSE FACILITE QUE VOUS Y AURIEZ. ENFIN VOTRE AME M'A TOUJOURS PARU PURE COMME VOTRE BEAUTE. VOUS AVEZ MEME UN PETIT FONDS DE PHILOSOPHIE QUI M'A FAIT CROIRE QUE VOUS PRENDRIEZ PLUS DE GOUT QU'UNE AUTRE A CET OUVRAGE D'UN SAGE. IL FUT ECRIT D'ABORD EN ANCIEN CHALDEEN, QUE NI VOUS NI MOI N'ENTENDONS. ON LE TRADUISIT EN ARABE, POUR AMUSER LE CELEBRE SULTAN OULOUG-BEB. C'ETAIT DU TEMPS OU LES ARABES ET LES PERSANS COMMENCAIENT A ECRIRE DES MILLE ET UNE NUITS, DES MILLE ET UN JOURS, ETC. OULOUG AIMAIT MIEUX LA LECTURE DE ZADIG ; MAIS LES SULTANES AIMAIENT MIEUX LES MILLE ET UN. "COMMENT POUVEZ-VOUS PREFERER, LEUR DISAIT LE SAGE OULOUG, DES CONTES QUI SONT SANS RAISON, ET QUI NE SIGNIFIENT RIEN ? - C'EST PRECISEMENT POUR CELA QUE NOUS LES AIMONS, REPONDAIENT LES SULTANES. " JE ME FLATTE QUE VOUS NE LEUR RESSEMBLEREZ PAS, ET QUE VOUS SEREZ UN VRAI OULOUG. J'ESPERE MEME QUE, QUAND VOUS SEREZ LASSE DES CONVERSATIONS GENERALES, QUI RESSEMBLENT ASSEZ AUX MILLE ET UN, A CELA PRES QU'ELLES SONT MOINS AMUSANTES, JE POURRAI TROUVER UNE MINUTE POUR AVOIR L'HONNEUR DE VOUS PARLER RAISON. SI VOUS AVIEZ ETE THALESTRIS DU TEMPS DE SCANDER, FILS DE PHILIPPE ; SI VOUS AVIEZ ETE LA REINE DE SABEE DU TEMPS DE SOLEIMAN, C'EUSSENT ETE CES ROIS QUI AURAIENT FAIT LE VOYAGE. JE PRIE LES VERTUS CELESTES QUE VOS PLAISIRS SOIENT SANS MELANGE, VOTRE BEAUTE DURABLE, ET VOTRE BONHEUR SANS FIN. CHAPITRE 1 - LE BORGNE DU TEMPS DU ROI MOABDAR IL Y AVAIT A BABYLONE UN JEUNE HOMME NOMME ZADIG, NE AVEC UN BEAU NATUREL FORTIFIE PAR L'EDUCATION. QUOIQUE RICHE ET JEUNE, IL SAVAIT MODERER SES PASSIONS ; IL N'AFFECTAIT RIEN ; IL NE VOULAIT POINT TOUJOURS AVOIR RAISON, ET SAVAIT RESPECTER LA FAIBLESSE DES HOMMES. ON ETAIT ETONNE DE VOIR QU'AVEC BEAUCOUP D'ESPRIT IL N'INSULTAT JAMAIS PAR DES RAILLERIES A CES PROPOS SI VAGUES, SI ROMPUS, SI TUMULTUEUX, A CES MEDISANCES TEMERAIRES, A CES DECISIONS IGNORANTES, A CES TURLUPINADES GROSSIERES, A CE VAIN BRUIT DE PAROLES, QU'ON APPELAIT CONVERSATION DANS BABYLONE. IL AVAIT APPRIS, DANS LE PREMIER LIVRE DE ZOROASTRE, QUE L'AMOUR-PROPRE EST UN BALLON GONFLE DE VENT, DONT IL SORT DES TEMPETES QUAND ON LUI A FAIT UNE PIQURE. ZADIG SURTOUT NE SE VANTAIT PAS DE MEPRISER LES FEMMES ET DE LES SUBJUGUER. IL ETAIT GENEREUX ; IL NE CRAIGNAIT POINT D'OBLIGER DES INGRATS, SUIVANT CE GRAND PRECEPTE DE ZOROASTRE : QUAND TU MANGES, DONNE A MANGER AUX CHIENS, DUSSENT-ILS TE MORDRE. IL ETAIT AUSSI SAGE QU'ON PEUT L'ETRE ; CAR IL CHERCHAIT A VIVRE AVEC DES SAGES. INSTRUIT DANS LES SCIENCES DES ANCIENS CHALDEENS, IL N'IGNORAIT PAS LES PRINCIPES PHYSIQUES DE LA NATURE, TELS QU'ON LES CONNAISSAIT ALORS, ET SAVAIT DE LA METAPHYSIQUE CE QU'ON EN A SU DANS TOUS LES AGES, C'EST-A-DIRE FORT PEU DE CHOSE. IL ETAIT FERMEMENT PERSUADE QUE L'ANNEE ETAIT DE TROIS CENT SOIXANTE ET CINQ JOURS ET UN QUART, MALGRE LA NOUVELLE PHILOSOPHIE DE SON TEMPS, ET QUE LE SOLEIL ETAIT AU CENTRE DU MONDE ; ET QUAND LES PRINCIPAUX MAGES LUI DISAIENT, AVEC UNE HAUTEUR INSULTANTE, QU'IL AVAIT DE MAUVAIS SENTIMENTS, ET QUE C'ETAIT ETRE ENNEMI DE L'ETAT QUE DE CROIRE QUE LE SOLEIL TOURNAIT SUR LUI-MEME, ET QUE L'ANNEE AVAIT DOUZE MOIS, IL SE TAISAIT SANS COLERE ET SANS DEDAIN. ZADIG, AVEC DE GRANDES RICHESSES, ET PAR CONSEQUENT AVEC DES AMIS, AYANT DE LA SANTE, UNE FIGURE AIMABLE, UN ESPRIT JUSTE ET MODERE, UN COEUR SINCERE ET NOBLE, CRUT QU'IL POUVAIT ETRE HEUREUX. IL DEVAIT SE MARIER A SEMIRE, QUE SA BEAUTE, SA NAISSANCE ET SA FORTUNE RENDAIENT LE PREMIER PARTI DE BABYLONE. IL AVAIT POUR ELLE UN ATTACHEMENT SOLIDE ET VERTUEUX, ET SEMIRE L'AIMAIT AVEC PASSION. ILS TOUCHAIENT AU MOMENT FORTUNE QUI ALLAIT LES UNIR, LORSQUE, SE PROMENANT ENSEMBLE VERS UNE PORTE DE BABYLONE, SOUS LES PALMIERS QUI ORNAIENT LE RIVAGE DE L'EUPHRATE, ILS VIRENT VENIR A EUX DES HOMMES ARMES DE SABRES ET DE FLECHES. C'ETAIENT LES SATELLITES DU JEUNE ORCAN, NEVEU D'UN MINISTRE, A QUI LES COURTISANS DE SON ONCLE AVAIENT FAIT ACCROIRE QUE TOUT LUI ETAIT PERMIS. IL N'AVAIT AUCUNE DES GRACES NI DES VERTUS DE ZADIG ; MAIS, CROYANT VALOIR BEAUCOUP MIEUX, IL ETAIT DESESPERE DE N'ETRE PAS PREFERE. CETTE JALOUSIE, QUI NE VENAIT QUE DE SA VANITE, LUI FIT PENSER QU'IL AIMAIT EPERDUMENT SEMIRE. IL VOULAIT L'ENLEVER. LES RAVISSEURS LA SAISIRENT, ET DANS LES EMPORTEMENTS DE LEUR VIOLENCE ILS LA BLESSERENT, ET FIRENT COULER LE SANG D'UNE PERSONNE DONT LA VUE AURAIT ATTENDRI LES TIGRES DU MONT IMAUS. ELLE PERCAIT LE CIEL DE SES PLAINTES. ELLE S'ECRIAIT : " MON CHER EPOUX ! ON M'ARRACHE A CE QUE J'ADORE. " ELLE N'ETAIT POINT OCCUPEE DE SON DANGER ; ELLE NE PENSAIT QU'A SON CHER ZADIG. CELUI-CI, DANS LE MEME TEMPS, LA DEFENDAIT AVEC TOUTE LA FORCE QUE DONNENT LA VALEUR ET L'AMOUR. AIDE SEULEMENT DE DEUX ESCLAVES, IL MIT LES RAVISSEURS EN FUITE, ET RAMENA CHEZ ELLE SEMIRE EVANOUIE ET SANGLANTE, QUI EN OUVRANT LES YEUX VIT SON LIBERATEUR. ELLE LUI DIT : "O ZADIG ! JE VOUS AIMAIS COMME MON EPOUX ; JE VOUS AIME COMME CELUI A QUI JE DOIS L'HONNEUR ET LA VIE. " JAMAIS IL N'Y EUT UN COEUR PLUS PENETRE QUE CELUI DE SEMIRE ; JAMAIS BOUCHE PLUS RAVISSANTE N'EXPRIMA DES SENTIMENTS PLUS TOUCHANTS PAR CES PAROLES DE FEU QU'INSPIRENT LE SENTIMENT DU PLUS GRAND DES BIENFAITS ET LE TRANSPORT LE PLUS TENDRE DE L'AMOUR LE PLUS LEGITIME. SA BLESSURE ETAIT LEGERE ; ELLE GUERIT BIENTOT. ZADIG ETAIT BLESSE PLUS DANGEREUSEMENT ; UN COUP DE FLECHE RECU PRES DE L'OEIL LUI AVAIT FAIT UNE PLAIE PROFONDE. SEMIRE NE DEMANDAIT AUX DIEUX QUE LA GUERISON DE SON AMANT. SES YEUX ETAIENT NUIT ET JOUR BAIGNES DE LARMES : ELLE ATTENDAIT LE MOMENT OU CEUX DE ZADIG POURRAIENT JOUIR DE SES REGARDS ; MAIS UN ABCES SURVENU A L'OEIL BLESSE FIT TOUT CRAINDRE. ON ENVOYA JUSQU'A MEMPHIS CHERCHER LE GRAND MEDECIN HERMES, QUI VINT AVEC UN NOMBREUX CORTEGE. IL VISITA LE MALADE, ET DECLARA QU'IL PERDRAIT L'OEIL ; IL PREDIT MEME LE JOUR ET L'HEURE OU CE FUNESTE ACCIDENT DEVAIT ARRIVER. "SI C'EUT ETE L'OEIL DROIT, DIT-IL, JE L'AURAIS GUERI ; MAIS LES PLAIES DE L'OEIL GAUCHE SONT INCURABLES. " TOUT BABYLONE, EN PLAIGNANT LA DESTINEE DE ZADIG, ADMIRA LA PROFONDEUR DE LA SCIENCE D'HERMES. DEUX JOURS APRES L'ABCES PERCA DE LUI-MEME ; ZADIG FUT GUERI PARFAITEMENT. HERMES ECRIVIT UN LIVRE OU IL LUI PROUVA QU'IL N'AVAIT PAS DU GUERIR. ZADIG NE LE LUT POINT ; MAIS, DES QU'IL PUT SORTIR, IL SE PREPARA A RENDRE VISITE A CELLE QUI FAISAIT L'ESPERANCE DU BONHEUR DE SA VIE, ET POUR QUI SEULE IL VOULAIT AVOIR DES YEUX. SEMIRE ETAIT A LA CAMPAGNE DEPUIS TROIS JOURS. IL APPRIT EN CHEMIN QUE CETTE BELLE DAME, AYANT DECLARE HAUTEMENT QU'ELLE AVAIT UNE AVERSION INSURMONTABLE POUR LES BORGNES, VENAIT DE SE MARIER A ORCAN LA NUIT MEME. A CETTE NOUVELLE IL TOMBA SANS CONNAISSANCE ; SA DOULEUR LE MIT AU BORD DU TOMBEAU ; IL FUT LONGTEMPS MALADE, MAIS ENFIN LA RAISON L'EMPORTA SUR SON AFFLICTION ; ET L'ATROCITE DE CE QU'IL EPROUVAIT SERVIT MEME A LE CONSOLER. "PUISQUE J'AI ESSUYE, DIT-IL, UN SI CRUEL CAPRICE D'UNE FILLE ELEVEE A LA COUR, IL FAUT QUE J'EPOUSE UNE CITOYENNE. " IL CHOISIT AZORA, LA PLUS SAGE ET LA MIEUX NEE DE LA VILLE ; IL L'EPOUSA, ET VECUT UN MOIS AVEC ELLE DANS LES DOUCEURS DE L'UNION LA PLUS TENDRE. SEULEMENT IL REMARQUAIT EN ELLE UN PEU DE LEGERETE, ET BEAUCOUP DE PENCHANT A TROUVER TOUJOURS QUE LES JEUNES GENS LES MIEUX FAITS ETAIENT CEUX QUI AVAIENT LE PLUS D'ESPRIT ET DE VERTU. CHAPITRE 2 - LE NEZ UN JOUR AZORA REVINT D'UNE PROMENADE, TOUT EN COLERE, ET FAISANT DE GRANDES EXCLAMATIONS. "QU'AVEZ-VOUS, LUI DIT-IL, MA CHERE EPOUSE ? QUI VOUS PEUT METTRE AINSI HORS DE VOUS-MEME ? - HELAS ! DIT-ELLE, VOUS SERIEZ INDIGNE COMME MOI, SI VOUS AVIEZ VU LE SPECTACLE DONT JE VIENS D'ETRE TEMOIN. J'AI ETE CONSOLER LA JEUNE VEUVE COSROU, QUI VIENT D'ELEVER, DEPUIS DEUX JOURS, UN TOMBEAU A SON JEUNE EPOUX AUPRES DU RUISSEAU QUI BORDE CETTE PRAIRIE. ELLE A PROMIS AUX DIEUX, DANS SA DOULEUR, DE DEMEURER AUPRES DE CE TOMBEAU TANT QUE L'EAU DE CE RUISSEAU COULERAIT AUPRES. - EH BIEN ! DIT ZADIG, VOILA UNE FEMME ESTIMABLE QUI AIMAIT VERITABLEMENT SON MARI ! - AH ! REPRIT AZORA, SI VOUS SAVIEZ A QUOI ELLE S'OCCUPAIT QUAND JE LUI AI RENDU VISITE ! - A QUOI DONC, BELLE AZORA ? - ELLE FAISAIT DETOURNER LE RUISSEAU. " AZORA SE REPANDIT EN DES INVECTIVES SI LONGUES, ECLATA EN REPROCHES SI VIOLENTS CONTRE LA JEUNE VEUVE, QUE CE FASTE DE VERTU NE PLUT PAS A ZADIG. IL AVAIT UN AMI, NOMME CADOR, QUI ETAIT UN DE CES JEUNES GENS A QUI SA FEMME TROUVAIT PLUS DE PROBITE ET DE MERITE QU'AUX AUTRES : IL LE MIT DANS SA CONFIDENCE, ET S'ASSURA, AUTANT QU'IL LE POUVAIT, DE SA FIDELITE PAR UN PRESENT CONSIDERABLE. AZORA AYANT PASSE DEUX JOURS CHEZ UNE DE SES AMIES A LA CAMPAGNE, REVINT LE TROISIEME JOUR A LA MAISON. DES DOMESTIQUES EN PLEURS LUI ANNONCERENT QUE SON MARI ETAIT MORT SUBITEMENT, LA NUIT MEME, QU'ON N'AVAIT PAS OSE LUI PORTER CETTE FUNESTE NOUVELLE, ET QU'ON VENAIT D'ENSEVELIR ZADIG DANS LE TOMBEAU DE SES PERES, AU BOUT DU JARDIN. ELLE PLEURA, S'ARRACHA LES CHEVEUX, ET JURA DE MOURIR. LE SOIR, CADOR LUI DEMANDA LA PERMISSION DE LUI PARLER, ET ILS PLEURERENT TOUS DEUX. LE LENDEMAIN ILS PLEURERENT MOINS, ET DINERENT ENSEMBLE. CADOR LUI CONFIA QUE SON AMI LUI AVAIT LAISSE LA PLUS GRANDE PARTIE DE SON BIEN, ET LUI FIT ENTENDRE QU'IL METTRAIT SON BONHEUR A PARTAGER SA FORTUNE AVEC ELLE. LA DAME PLEURA, SE FACHA, S'ADOUCIT ; LE SOUPER FUT PLUS LONG QUE LE DINER ; ON SE PARLA AVEC PLUS DE CONFIANCE. AZORA FIT L'ELOGE DU DEFUNT ; MAIS ELLE AVOUA QU'IL AVAIT DES DEFAUTS DONT CADOR ETAIT EXEMPT. AU MILIEU DU SOUPER, CADOR SE PLAIGNIT D'UN MAL DE RATE VIOLENT ; LA DAME, INQUIETE ET EMPRESSEE, FIT APPORTER TOUTES LES ESSENCES DONT ELLE SE PARFUMAIT POUR ESSAYER S'IL N'Y EN AVAIT PAS QUELQU'UNE QUI FUT BONNE POUR LE MAL DE RATE ; ELLE REGRETTA BEAUCOUP QUE LE GRAND HERMES NE FUT PAS ENCORE A BABYLONE ; ELLE DAIGNA MEME TOUCHER LE COTE OU CADOR SENTAIT DE SI VIVES DOULEURS. "ETES-VOUS SUJET A CETTE CRUELLE MALADIE ? LUI DIT-ELLE AVEC COMPASSION. - ELLE ME MET QUELQUEFOIS AU BORD DU TOMBEAU, LUI REPONDIT CADOR, ET IL N'Y A QU'UN SEUL REMEDE QUI PUISSE ME SOULAGER : C'EST DE M'APPLIQUER SUR LE COTE LE NEZ D'UN HOMME QUI SOIT MORT LA VEILLE. - VOILA UN ETRANGE REMEDE, DIT AZORA. - PAS PLUS ETRANGE, REPONDIT-IL, QUE LES SACHETS DU SIEUR ARNOULT CONTRE L'APOPLEXIE. " CETTE RAISON, JOINTE A L'EXTREME MERITE DU JEUNE HOMME, DETERMINA ENFIN LA DAME. "APRES TOUT, DIT-ELLE, QUAND MON MARI PASSERA DU MONDE D'HIER DANS LE MONDE DU LENDEMAIN SUR LE PONT TCHINAVAR, L'ANGE ASRAEL LUI ACCORDERA-T-IL MOINS LE PASSAGE PARCE QUE SON NEZ SERA UN PEU MOINS LONG DANS LA SECONDE VIE QUE DANS LA PREMIERE ?" ELLE PRIT DONC UN RASOIR ; ELLE ALLA AU TOMBEAU DE SON EPOUX, L'ARROSA DE SES LARMES, ET S'APPROCHA POUR COUPER LE NEZ A ZADIG, QU'ELLE TROUVA TOUT ETENDU DANS LA TOMBE. ZADIG SE RELEVE EN TENANT SON NEZ D'UNE MAIN, ET ARRETANT LE RASOIR DE L'AUTRE. "MADAME, LUI DIT-IL, NE CRIEZ PLUS TANT CONTRE LA JEUNE COSROU ; LE PROJET DE ME COUPER LE NEZ VAUT BIEN CELUI DE DETOURNER UN RUISSEAU. " CHAPITRE 3 - LE CHIEN ET LE CHEVAL ZADIG EPROUVA QUE LE PREMIER MOIS DU MARIAGE, COMME IL EST ECRIT DANS LE LIVRE DU ZEND, EST LA LUNE DU MIEL, ET QUE LE SECOND EST LA LUNE DE L'ABSINTHE. IL FUT QUELQUE TEMPS APRES OBLIGE DE REPUDIER AZORA, QUI ETAIT DEVENUE TROP DIFFICILE A VIVRE, ET IL CHERCHA SON BONHEUR DANS L'ETUDE DE LA NATURE. "RIEN N'EST PLUS HEUREUX, DISAIT-IL, QU'UN PHILOSOPHE QUI LIT DANS CE GRAND LIVRE QUE DIEU A MIS SOUS NOS YEUX. LES VERITES QU'IL DECOUVRE SONT A LUI : IL NOURRIT ET IL ELEVE SON AME, IL VIT TRANQUILLE ; IL NE CRAINT RIEN DES HOMMES, ET SA TENDRE EPOUSE NE VIENT POINT LUI COUPER LE NEZ. " PLEIN DE CES IDEES, IL SE RETIRA DANS UNE MAISON DE CAMPAGNE SUR LES BORDS DE L'EUPHRATE. LA IL NE S'OCCUPAIT PAS A CALCULER COMBIEN DE POUCES D'EAU COULAIENT EN UNE SECONDE SOUS LES ARCHES D'UN PONT, OU S'IL TOMBAIT UNE LIGNE CUBE DE PLUIE DANS LE MOIS DE LA SOURIS PLUS QUE DANS LE MOIS DU MOUTON. IL N'IMAGINAIT POINT DE FAIRE DE LA SOIE AVEC DES TOILES D'ARAIGNEE, NI DE LA PORCELAINE AVEC DES BOUTEILLES CASSEES, MAIS IL ETUDIA SURTOUT LES PROPRIETES DES ANIMAUX ET DES PLANTES, ET IL ACQUIT BIENTOT UNE SAGACITE QUI LUI DECOUVRAIT MILLE DIFFERENCES OU LES AUTRES HOMMES NE VOIENT RIEN QUE D'UNIFORME. UN JOUR, SE PROMENANT AUPRES D'UN PETIT BOIS, IL VIT ACCOURIR A LUI UN EUNUQUE DE LA REINE, SUIVI DE PLUSIEURS OFFICIERS QUI PARAISSAIENT DANS LA PLUS GRANDE INQUIETUDE, ET QUI COURAIENT CA ET LA COMME DES HOMMES EGARES QUI CHERCHENT CE QU'ILS ONT PERDU DE PLUS PRECIEUX. "JEUNE HOMME, LUI DIT LE PREMIER EUNUQUE, N'AVEZ-VOUS POINT VU LE CHIEN DE LA REINE ?" ZADIG REPONDIT MODESTEMENT : "C'EST UNE CHIENNE, ET NON PAS UN CHIEN. - VOUS AVEZ RAISON, REPRIT LE PREMIER EUNUQUE. - C'EST UNE EPAGNEULE TRES-PETITE, AJOUTA ZADIG ; ELLE A FAIT DEPUIS PEU DES CHIENS ; ELLE BOITE DU PIED GAUCHE DE DEVANT, ET ELLE A LES OREILLES TRES-LONGUES. - VOUS L'AVEZ DONC VUE ? DIT LE PREMIER EUNUQUE TOUT ESSOUFFLE. - NON, REPONDIT ZADIG, JE NE L'AI JAMAIS VUE, ET JE N'AI JAMAIS SU SI LA REINE AVAIT UNE CHIENNE. " PRECISEMENT DANS LE MEME TEMPS, PAR UNE BIZARRERIE ORDINAIRE DE LA FORTUNE, LE PLUS BEAU CHEVAL DE L'ECURIE DU ROI S'ETAIT ECHAPPE DES MAINS D'UN PALEFRENIER DANS LES PLAINES DE BABYLONE. LE GRAND VENEUR ET TOUS LES AUTRES OFFICIERS COURAIENT APRES LUI AVEC AUTANT D'INQUIETUDE QUE LE PREMIER EUNUQUE APRES LA CHIENNE. LE GRAND VENEUR S'ADRESSA A ZADIG, ET LUI DEMANDA S'IL N'AVAIT POINT VU PASSER LE CHEVAL DU ROI. "C'EST, REPONDIT ZADIG, LE CHEVAL QUI GALOPE LE MIEUX ; IL A CINQ PIEDS DE HAUT, LE SABOT FORT PETIT ; IL PORTE UNE QUEUE DE TROIS PIEDS ET DEMI DE LONG ; LES BOSSETTES DE SON MORS SONT D'OR A VINGT-TROIS CARATS ; SES FERS SONT D'ARGENT A ONZE DENIERS. - QUEL CHEMIN A-T-IL PRIS ? OU EST-IL ? DEMANDA LE GRAND VENEUR. - JE NE L'AI POINT VU, REPONDIT ZADIG, ET JE N'EN AI JAMAIS ENTENDU PARLER. " LE GRAND VENEUR ET LE PREMIER EUNUQUE NE DOUTERENT PAS QUE ZADIG N'EUT VOLE LE CHEVAL DU ROI ET LA CHIENNE DE LA REINE ; ILS LE FIRENT CONDUIRE DEVANT L'ASSEMBLEE DU GRAND DESTERHAM, QUI LE CONDAMNA AU KNOUT, ET A PASSER LE RESTE DE SES JOURS EN SIBERIE. A PEINE LE JUGEMENT FUT-IL RENDU QU'ON RETROUVA LE CHEVAL ET LA CHIENNE. LES JUGES FURENT DANS LA DOULOUREUSE NECESSITE DE REFORMER LEUR ARRET ; MAIS ILS CONDAMNERENT ZADIG A PAYER QUATRE CENTS ONCES D'OR, POUR AVOIR DIT QU'IL N'AVAIT POINT VU CE QU'IL AVAIT VU. IL FALLUT D'ABORD PAYER CETTE AMENDE ; APRES QUOI IL FUT PERMIS A ZADIG DE PLAIDER SA CAUSE AU CONSEIL DU GRAND DESTERHAM ; IL PARLA EN CES TERMES : "ETOILES DE JUSTICE, ABIMES DE SCIENCE, MIROIRS DE VERITE, QUI AVEZ LA PESANTEUR DU PLOMB, LA DURETE DU FER, L'ECLAT DU DIAMANT, ET BEAUCOUP D'AFFINITE AVEC L'OR, PUISQU'IL M'EST PERMIS DE PARLER DEVANT CETTE AUGUSTE ASSEMBLEE, JE VOUS JURE PAR OROSMADE, QUE JE N'AI JAMAIS VU LA CHIENNE RESPECTABLE DE LA REINE, NI LE CHEVAL SACRE DU ROI DES ROIS. VOICI CE QUI M'EST ARRIVE : JE ME PROMENAIS VERS LE PETIT BOIS OU J'AI RENCONTRE DEPUIS LE VENERABLE EUNUQUE ET LE TRES-ILLUSTRE GRAND VENEUR. J'AI VU SUR LE SABLE LES TRACES D'UN ANIMAL, ET J'AI JUGE AISEMENT QUE C'ETAIENT CELLES D'UN PETIT CHIEN. DES SILLONS LEGERS ET LONGS, IMPRIMES SUR DE PETITES EMINENCES DE SABLE ENTRE LES TRACES DES PATTES, M'ONT FAIT CONNAITRE QUE C'ETAIT UNE CHIENNE DONT LES MAMELLES ETAIENT PENDANTES, ET QU'AINSI ELLE AVAIT FAIT DES PETITS IL Y A PEU DE JOURS. D'AUTRES TRACES EN UN SENS DIFFERENT, QUI PARAISSAIENT TOUJOURS AVOIR RASE LA SURFACE DU SABLE A COTE DES PATTES DE DEVANT, M'ONT APPRIS QU'ELLE AVAIT LES OREILLES TRES-LONGUES ; ET COMME J'AI REMARQUE QUE LE SABLE ETAIT TOUJOURS MOINS CREUSE PAR UNE PATTE QUE PAR LES TROIS AUTRES, J'AI COMPRIS QUE LA CHIENNE DE NOTRE AUGUSTE REINE ETAIT UN PEU BOITEUSE, SI JE L'OSE DIRE. "A L'EGARD DU CHEVAL DU ROI DES ROIS, VOUS SAUREZ QUE, ME PROMENANT DANS LES ROUTES DE CE BOIS, J'AI APERCU LES MARQUES DES FERS D'UN CHEVAL ; ELLES ETAIENT TOUTES A EGALES DISTANCES. VOILA, AI-JE DIT, UN CHEVAL QUI A UN GALOP PARFAIT. LA POUSSIERE DES ARBRES, DANS UNE ROUTE ETROITE QUI N'A QUE SEPT PIEDS DE LARGE, ETAIT UN PEU ENLEVEE A DROITE ET A GAUCHE, A TROIS PIEDS ET DEMI DU MILIEU DE LA ROUTE. CE CHEVAL, AI-JE DIT, A UNE QUEUE DE TROIS PIEDS ET DEMI, QUI, PAR SES MOUVEMENTS DE DROITE ET DE GAUCHE, A BALAYE CETTE POUSSIERE. J'AI VU SOUS LES ARBRES, QUI FORMAIENT UN BERCEAU DE CINQ PIEDS DE HAUT, LES FEUILLES DES BRANCHES NOUVELLEMENT TOMBEES ; ET J'AI CONNU QUE CE CHEVAL Y AVAIT TOUCHE, ET QU'AINSI IL AVAIT CINQ PIEDS DE HAUT. QUANT A SON MORS, IL DOIT ETRE D'OR A VINGT-TROIS CARATS ; CAR IL EN A FROTTE LES BOSSETTES CONTRE UNE PIERRE QUE J'AI RECONNUE ETRE UNE PIERRE DE TOUCHE, ET DONT J'AI FAIT L'ESSAI. J'AI JUGE ENFIN PAR LES MARQUES QUE SES FERS ONT LAISSEES SUR DES CAILLOUX D'UNE AUTRE ESPECE, QU'IL ETAIT FERRE D'ARGENT A ONZE DENIERS DE FIN. " TOUS LES JUGES ADMIRERENT LE PROFOND ET SUBTIL DISCERNEMENT DE ZADIG ; LA NOUVELLE EN VINT JUSQU'AU ROI ET A LA REINE. ON NE PARLAIT QUE DE ZADIG DANS LES ANTICHAMBRES, DANS LA CHAMBRE, ET DANS LE CABINET ; ET QUOIQUE PLUSIEURS MAGES OPINASSENT QU'ON DEVAIT LE BRULER COMME SORCIER, LE ROI ORDONNA QU'ON LUI RENDIT L'AMENDE DES QUATRE CENTS ONCES D'OR A LAQUELLE IL AVAIT ETE CONDAMNE. LE GREFFIER, LES HUISSIERS, LES PROCUREURS, VINRENT CHEZ LUI EN GRAND APPAREIL LUI RAPPORTER SES QUATRE CENTS ONCES ; ILS EN RETINRENT SEULEMENT TROIS CENT QUATRE-VINGT-DIX-HUIT POUR LES FRAIS DE JUSTICE, ET LEURS VALETS DEMANDERENT DES HONORAIRES. ZADIG VIT COMBIEN IL ETAIT DANGEREUX QUELQUEFOIS D'ETRE TROP SAVANT, ET SE PROMIT BIEN, A LA PREMIERE OCCASION, DE NE POINT DIRE CE QU'IL AVAIT VU. CETTE OCCASION SE TROUVA BIENTOT. UN PRISONNIER D'ETAT S'ECHAPPA ; IL PASSA SOUS LES FENETRES DE SA MAISON. ON INTERROGEA ZADIG, IL NE REPONDIT RIEN ; MAIS ON LUI PROUVA QU'IL AVAIT REGARDE PAR LA FENETRE. IL FUT CONDAMNE POUR CE CRIME A CINQ CENTS ONCES D'OR, ET IL REMERCIA SES JUGES DE LEUR INDULGENCE, SELON LA COUTUME DE BABYLONE. "GRAND DIEU ! DIT-IL EN LUI-MEME, QU'ON EST A PLAINDRE QUAND ON SE PROMENE DANS UN BOIS OU LA CHIENNE DE LA REINE ET LE CHEVAL DU ROI ONT PASSE ! QU'IL EST DANGEREUX DE SE METTRE A LA FENETRE ! ET QU'IL EST DIFFICILE D'ETRE HEUREUX DANS CETTE VIE !" CHAPITRE 4 - L'ENVIEUX ZADIG VOULUT SE CONSOLER, PAR LA PHILOSOPHIE ET PAR L'AMITIE, DES MAUX QUE LUI AVAIT FAITS LA FORTUNE. IL AVAIT, DANS UN FAUBOURG DE BABYLONE, UNE MAISON ORNEE AVEC GOUT, OU IL RASSEMBLAIT TOUS LES ARTS ET TOUS LES PLAISIRS DIGNES D'UN HONNETE HOMME. LE MATIN, SA BIBLIOTHEQUE ETAIT OUVERTE A TOUS LES SAVANTS ; LE SOIR, SA TABLE L'ETAIT A LA BONNE COMPAGNIE ; MAIS IL CONNUT BIENTOT COMBIEN LES SAVANTS SONT DANGEREUX ; IL S'ELEVA UNE GRANDE DISPUTE SUR UNE LOI DE ZOROASTRE, QUI DEFENDAIT DE MANGER DU GRIFFON. "COMMENT DEFENDRE LE GRIFFON, DISAIENT LES UNS, SI CET ANIMAL N'EXISTE PAS ? - IL FAUT BIEN QU'IL EXISTE, DISAIENT LES AUTRES, PUISQUE ZOROASTRE NE VEUT PAS QU'ON EN MANGE. " ZADIG VOULUT LES ACCORDER, EN LEUR DISANT : "S'IL Y A DES GRIFFONS, N'EN MANGEONS POINT ; S'IL N'Y EN A POINT, NOUS EN MANGERONS ENCORE MOINS ; ET PAR LA NOUS OBEIRONS TOUS A ZOROASTRE. " UN SAVANT QUI AVAIT COMPOSE TREIZE VOLUMES SUR LES PROPRIETES DU GRIFFON, ET QUI DE PLUS ETAIT GRAND THEURGITE, SE HATA D'ALLER ACCUSER ZADIG DEVANT UN ARCHIMAGE NOMME YEBOR, LE PLUS SOT DES CHALDEENS, ET PARTANT LE PLUS FANATIQUE. CET HOMME AURAIT FAIT EMPALER ZADIG POUR LA PLUS GRANDE GLOIRE DU SOLEIL, ET EN AURAIT RECITE LE BREVIAIRE DE ZOROASTRE D'UN TON PLUS SATISFAIT. L'AMI CADOR (UN AMI VAUT MIEUX QUE CENT PRETRES) ALLA TROUVER LE VIEUX YEBOR, ET LUI DIT : "VIVENT LE SOLEIL ET LES GRIFFONS ! GARDEZ-VOUS BIEN DE PUNIR ZADIG : C'EST UN SAINT ; IL A DES GRIFFONS DANS SA BASSE-COUR, ET IL N'EN MANGE POINT ; ET SON ACCUSATEUR EST UN HERETIQUE QUI OSE SOUTENIR QUE LES LAPINS ONT LE PIED FENDU, ET NE SONT POINT IMMONDES. - EH BIEN ! DIT YEBOR EN BRANLANT SA TETE CHAUVE, IL FAUT EMPALER ZADIG POUR AVOIR MAL PENSE DES GRIFFONS, ET L'AUTRE POUR AVOIR MAL PARLE DES LAPINS. " CADOR APAISA L'AFFAIRE PAR LE MOYEN D'UNE FILLE D'HONNEUR A LAQUELLE IL AVAIT FAIT UN ENFANT, ET QUI AVAIT BEAUCOUP DE CREDIT DANS LE COLLEGE DES MAGES. PERSONNE NE FUT EMPALE ; DE QUOI PLUSIEURS DOCTEURS MURMURERENT, ET EN PRESAGERENT LA DECADENCE DE BABYLONE. ZADIG S'ECRIA : "A QUOI TIENT LE BONHEUR ! TOUT ME PERSECUTE DANS CE MONDE, JUSQU'AUX ETRES QUI N'EXISTENT PAS. " IL MAUDIT LES SAVANTS, ET NE VOULUT PLUS VIVRE QU'EN BONNE COMPAGNIE. IL RASSEMBLAIT CHEZ LUI LES PLUS HONNETES GENS DE BABYLONE, ET LES DAMES LES PLUS AIMABLES ; IL DONNAIT DES SOUPERS DELICATS, SOUVENT PRECEDES DE CONCERTS, ET ANIMES PAR DES CONVERSATIONS CHARMANTES DONT IL AVAIT SU BANNIR L'EMPRESSEMENT DE MONTRER DE L'ESPRIT, QUI EST LA PLUS SURE MANIERE DE N'EN POINT AVOIR, ET DE GATER LA SOCIETE LA PLUS BRILLANTE. NI LE CHOIX DE SES AMIS, NI CELUI DES METS, N'ETAIENT FAITS PAR LA VANITE ; CAR EN TOUT IL PREFERAIT L'ETRE AU PARAITRE, ET PAR LA IL S'ATTIRAIT LA CONSIDERATION VERITABLE A LAQUELLE IL NE PRETENDAIT PAS. VIS-A-VIS SA MAISON DEMEURAIT ARIMAZE, PERSONNAGE DONT LA MECHANTE AME ETAIT PEINTE SUR SA GROSSIERE PHYSIONOMIE. IL ETAIT RONGE DE FIEL ET BOUFFI D'ORGUEIL, ET POUR COMBLE, C'ETAIT UN BEL ESPRIT ENNUYEUX. N'AYANT JAMAIS PU REUSSIR DANS LE MONDE, IL SE VENGEAIT PAR EN MEDIRE. TOUT RICHE QU'IL ETAIT, IL AVAIT DE LA PEINE A RASSEMBLER CHEZ LUI DES FLATTEURS. LE BRUIT DES CHARS QUI ENTRAIENT LE SOIR CHEZ ZADIG L'IMPORTUNAIT, LE BRUIT DE SES LOUANGES L'IRRITAIT DAVANTAGE. IL ALLAIT QUELQUEFOIS CHEZ ZADIG, ET SE METTAIT A TABLE SANS ETRE PRIE : IL Y CORROMPAIT TOUTE LA JOIE DE LA SOCIETE, COMME ON DIT QUE LES HARPIES INFECTENT LES VIANDES QU'ELLES TOUCHENT. IL LUI ARRIVA UN JOUR DE VOULOIR DONNER UNE FETE A UNE DAME QUI, AU LIEU DE LA RECEVOIR, ALLA SOUPER CHEZ ZADIG. UN AUTRE JOUR, CAUSANT AVEC LUI DANS LE PALAIS, ILS ABORDERENT UN MINISTRE QUI PRIA ZADIG A SOUPER, ET NE PRIA POINT ARIMAZE. LES PLUS IMPLACABLES HAINES N'ONT PAS SOUVENT DES FONDEMENTS PLUS IMPORTANTS. CET HOMME, QU'ON APPELAIT L'ENVIEUX DANS BABYLONE, VOULUT PERDRE ZADIG, PARCE QU'ON L'APPELAIT L'HEUREUX. L'OCCASION DE FAIRE DU MAL SE TROUVE CENT FOIS PAR JOUR, ET CELLE DE FAIRE DU BIEN, UNE FOIS DANS L'ANNEE, COMME DIT ZOROASTRE. L'ENVIEUX ALLA CHEZ ZADIG, QUI SE PROMENAIT DANS SES JARDINS AVEC DEUX AMIS ET UNE DAME A LAQUELLE IL DISAIT SOUVENT DES CHOSES GALANTES, SANS AUTRE INTENTION QUE CELLE DE LES DIRE. LA CONVERSATION ROULAIT SUR UNE GUERRE QUE LE ROI VENAIT DE TERMINER HEUREUSEMENT CONTRE LE PRINCE D'HYRCANIE, SON VASSAL. ZADIG, QUI AVAIT SIGNALE SON COURAGE DANS CETTE COURTE GUERRE, LOUAIT BEAUCOUP LE ROI, ET ENCORE PLUS LA DAME. IL PRIT SES TABLETTES, ET ECRIVIT QUATRE VERS QU'IL FIT SUR-LE-CHAMP, ET QU'IL DONNA A LIRE A CETTE BELLE PERSONNE. SES AMIS LE PRIERENT DE LEUR EN FAIRE PART : LA MODESTIE, OU PLUTOT UN AMOUR-PROPRE BIEN ENTENDU, L'EN EMPECHA. IL SAVAIT QUE DES VERS IMPROMPTUS NE SONT JAMAIS BONS QUE POUR CELLE EN L'HONNEUR DE QUI ILS SONT FAITS : IL BRISA EN DEUX LA FEUILLE DES TABLETTES SUR LAQUELLE IL VENAIT D'ECRIRE, ET JETA LES DEUX MOITIES DANS UN BUISSON DE ROSES, OU ON LES CHERCHA INUTILEMENT. UNE PETITE PLUIE SURVINT ; ON REGAGNA LA MAISON. L'ENVIEUX, QUI RESTA DANS LE JARDIN, CHERCHA TANT, QU'IL TROUVA UN MORCEAU DE LA FEUILLE. ELLE AVAIT ETE TELLEMENT ROMPUE QUE CHAQUE MOITIE DE VERS QUI REMPLISSAIT LA LIGNE FAISAIT UN SENS, ET MEME UN VERS D'UNE PLUS PETITE MESURE ; MAIS, PAR UN HASARD ENCORE PLUS ETRANGE, CES PETITS VERS SE TROUVAIENT FORMER UN SENS QUI CONTENAIT LES INJURES LES PLUS HORRIBLES CONTRE LE ROI ; ON Y LISAIT : PAR LES PLUS GRANDS FORFAITS SUR LE TRONE AFFERMI, DANS LA PUBLIQUE PAIX C'EST LE SEUL ENNEMI. L'ENVIEUX FUT HEUREUX POUR LA PREMIERE FOIS DE SA VIE. IL AVAIT ENTRE LES MAINS DE QUOI PERDRE UN HOMME VERTUEUX ET AIMABLE. PLEIN DE CETTE CRUELLE JOIE, IL FIT PARVENIR JUSQU'AU ROI CETTE SATIRE ECRITE DE LA MAIN DE ZADIG : ON LE FIT METTRE EN PRISON, LUI, SES DEUX AMIS, ET LA DAME. SON PROCES LUI FUT BIENTOT FAIT, SANS QU'ON DAIGNAT L'ENTENDRE. LORSQU'IL VINT RECEVOIR SA SENTENCE, L'ENVIEUX SE TROUVA SUR SON PASSAGE, ET LUI DIT TOUT HAUT QUE SES VERS NE VALAIENT RIEN. ZADIG NE SE PIQUAIT PAS D'ETRE BON POETE ; MAIS IL ETAIT AU DESESPOIR D'ETRE CONDAMNE COMME CRIMINEL DE LESE-MAJESTE, ET DE VOIR QU'ON RETINT EN PRISON UNE BELLE DAME ET DEUX AMIS POUR UN CRIME QU'IL N'AVAIT PAS FAIT. ON NE LUI PERMIT PAS DE PARLER, PARCE QUE SES TABLETTES PARLAIENT : TELLE ETAIT LA LOI DE BABYLONE. ON LE FIT DONC ALLER AU SUPPLICE A TRAVERS UNE FOULE DE CURIEUX DONT AUCUN N'OSAIT LE PLAINDRE, ET QUI SE PRECIPITAIENT POUR EXAMINER SON VISAGE, ET POUR VOIR S'IL MOURRAIT AVEC BONNE GRACE. SES PARENTS SEULEMENT ETAIENT AFFLIGES, CAR ILS N'HERITAIENT PAS. LES TROIS QUARTS DE SON BIEN ETAIENT CONFISQUES AU PROFIT DU ROI, ET L'AUTRE QUART AU PROFIT DE L'ENVIEUX. DANS LE TEMPS QU'IL SE PREPARAIT A LA MORT, LE PERROQUET DU ROI S'ENVOLA DE SON BALCON, ET S'ABATTIT DANS LE JARDIN DE ZADIG SUR UN BUISSON DE ROSES. UNE PECHE Y AVAIT ETE PORTEE D'UN ARBRE VOISIN PAR LE VENT ; ELLE ETAIT TOMBEE SUR UN MORCEAU DE TABLETTES A ECRIRE AUQUEL ELLE S'ETAIT COLLEE. L'OISEAU ENLEVA LA PECHE ET LA TABLETTE, ET LES PORTA SUR LES GENOUX DU MONARQUE. LE PRINCE, CURIEUX, Y LUT DES MOTS QUI NE FORMAIENT AUCUN SENS, ET QUI PARAISSAIENT DES FINS DE VERS. IL AIMAIT LA POESIE, ET IL Y A TOUJOURS DE LA RESSOURCE AVEC LES PRINCES QUI AIMENT LES VERS : L'AVENTURE DE SON PERROQUET LE FIT REVER. LA REINE, QUI SE SOUVENAIT DE CE QUI AVAIT ETE ECRIT SUR UNE PIECE DE LA TABLETTE DE ZADIG, SE LA FIT APPORTER. ON CONFRONTA LES DEUX MORCEAUX, QUI S'AJUSTAIENT ENSEMBLE PARFAITEMENT ; ON LUT ALORS LES VERS TELS QUE ZADIG LES AVAIT FAITS : PAR LES PLUS GRANDS FORFAITS J'AI VU TROUBLER LA TERRE. SUR LE TRONE AFFERMI LE ROI SAIT TOUT DOMPTER. DANS LA PUBLIQUE PAIX L'AMOUR SEUL FAIT LA GUERRE : C'EST LE SEUL ENNEMI QUI SOIT A REDOUTER. LE ROI ORDONNA AUSSITOT QU'ON FIT VENIR ZADIG DEVANT LUI, ET QU'ON FIT SORTIR DE PRISON SES DEUX AMIS ET LA BELLE DAME. ZADIG SE JETA LE VISAGE CONTRE TERRE AUX PIEDS DU ROI ET DE LA REINE : IL LEUR DEMANDA TRES-HUMBLEMENT PARDON D'AVOIR FAIT DE MAUVAIS VERS ; IL PARLA AVEC TANT DE GRACE, D'ESPRIT, ET DE RAISON, QUE LE ROI ET LA REINE VOULURENT LE REVOIR. IL REVINT, ET PLUT ENCORE DAVANTAGE. ON LUI DONNA TOUS LES BIENS DE L'ENVIEUX, QUI L'AVAIT INJUSTEMENT ACCUSE : MAIS ZADIG LES RENDIT TOUS ; ET L'ENVIEUX NE FUT TOUCHE QUE DU PLAISIR DE NE PAS PERDRE SON BIEN. L'ESTIME DU ROI S'ACCRUT DE JOUR EN JOUR POUR ZADIG. IL LE METTAIT DE TOUS SES PLAISIRS, ET LE CONSULTAIT DANS TOUTES SES AFFAIRES. LA REINE LE REGARDA DES LORS AVEC UNE COMPLAISANCE QUI POUVAIT DEVENIR DANGEREUSE POUR ELLE, POUR LE ROI SON AUGUSTE EPOUX, POUR ZADIG, ET POUR LE ROYAUME. ZADIG COMMENCAIT A CROIRE QU'IL N'EST PAS SI DIFFICILE D'ETRE HEUREUX. CHAPITRE 5 - LES GENEREUX LE TEMPS ARRIVA OU L'ON CELEBRAIT UNE GRANDE FETE QUI REVENAIT TOUS LES CINQ ANS. C'ETAIT LA COUTUME A BABYLONE DE DECLARER SOLENNELLEMENT, AU BOUT DE CINQ ANNEES, CELUI DES CITOYENS QUI AVAIT FAIT L'ACTION LA PLUS GENEREUSE. LES GRANDS ET LES MAGES ETAIENT LES JUGES. LE PREMIER SATRAPE, CHARGE DU SOIN DE LA VILLE, EXPOSAIT LES PLUS BELLES ACTIONS QUI S'ETAIENT PASSEES SOUS SON GOUVERNEMENT. ON ALLAIT AUX VOIX : LE ROI PRONONCAIT LE JUGEMENT. ON VENAIT A CETTE SOLENNITE DES EXTREMITES DE LA TERRE. LE VAINQUEUR RECEVAIT DES MAINS DU MONARQUE UNE COUPE D'OR GARNIE DE PIERRERIES, ET LE ROI LUI DISAIT CES PAROLES : "RECEVEZ CE PRIX DE LA GENEROSITE, ET PUISSENT LES DIEUX ME DONNER BEAUCOUP DE SUJETS QUI VOUS RESSEMBLENT !" CE JOUR MEMORABLE VENU, LE ROI PARUT SUR SON TRONE, ENVIRONNE DES GRANDS, DES MAGES, ET DES DEPUTES DE TOUTES LES NATIONS, QUI VENAIENT A CES JEUX OU LA GLOIRE S'ACQUERAIT, NON PAR LA LEGERETE DES CHEVAUX, NON PAR LA FORCE DU CORPS, MAIS PAR LA VERTU. LE PREMIER SATRAPE RAPPORTA A HAUTE VOIX LES ACTIONS QUI POUVAIENT MERITER A LEURS AUTEURS CE PRIX INESTIMABLE. IL NE PARLA POINT DE LA GRANDEUR D'AME AVEC LAQUELLE ZADIG AVAIT RENDU A L'ENVIEUX TOUTE SA FORTUNE : CE N'ETAIT PAS UNE ACTION QUI MERITAT DE DISPUTER LE PRIX. IL PRESENTA D'ABORD UN JUGE QUI, AYANT FAIT PERDRE UN PROCES CONSIDERABLE A UN CITOYEN, PAR UNE MEPRISE DONT IL N'ETAIT PAS MEME RESPONSABLE, LUI AVAIT DONNE TOUT SON BIEN, QUI ETAIT LA VALEUR DE CE QUE L'AUTRE AVAIT PERDU. IL PRODUISIT ENSUITE UN JEUNE HOMME QUI, ETANT EPERDUMENT EPRIS D'UNE FILLE QU'IL ALLAIT EPOUSER, L'AVAIT CEDEE A UN AMI PRES D'EXPIRER D'AMOUR POUR ELLE, ET QUI AVAIT ENCORE PAYE LA DOT EN CEDANT LA FILLE. ENSUITE IL FIT PARAITRE UN SOLDAT QUI, DANS LA GUERRE D'HYRCANIE, AVAIT DONNE ENCORE UN PLUS GRAND EXEMPLE DE GENEROSITE. DES SOLDATS ENNEMIS LUI ENLEVAIENT SA MAITRESSE, ET IL LA DEFENDAIT CONTRE EUX : ON VINT LUI DIRE QUE D'AUTRES HYRCANIENS ENLEVAIENT SA MERE A QUELQUES PAS DE LA ; IL QUITTA EN PLEURANT SA MAITRESSE, ET COURUT DELIVRER SA MERE ; IL RETOURNA ENSUITE VERS CELLE QU'IL AIMAIT, ET LA TROUVA EXPIRANTE. IL VOULUT SE TUER : SA MERE LUI REMONTRA QU'ELLE N'AVAIT QUE LUI POUR TOUT SECOURS, ET IL EUT LE COURAGE DE SOUFFRIR LA VIE. LES JUGES PENCHAIENT POUR CE SOLDAT. LE ROI PRIT LA PAROLE, ET DIT : "SON ACTION ET CELLES DES AUTRES SONT BELLES, MAIS ELLES NE M'ETONNENT POINT ; HIER ZADIG EN A FAIT UNE QUI M'A ETONNE. J'AVAIS DISGRACIE DEPUIS QUELQUES JOURS MON MINISTRE ET MON FAVORI COREB. JE PLAIGNAIS DE LUI AVEC VIOLENCE, ET TOUS MES COURTISANS M'ASSURAIENT QUE J'ETAIS TROP DOUX ; C'ETAIT A QUI ME DIRAIT LE PLUS DE MAL DE COREB. JE DEMANDAI A ZADIG CE QU'IL EN PENSAIT, ET IL OSA EN DIRE DU BIEN. J'AVOUE QUE J'AI VU, DANS NOS HISTOIRES, DES EXEMPLES QU'ON A PAYE DE SON BIEN UNE ERREUR, QU'ON A CEDE SA MAITRESSE QU'ON A PREFERE UNE MERE A L'OBJET DE SON AMOUR ; MAIS JE N'AI JAMAIS LU QU'UN COURTISAN AIT PARLE AVANTAGEUSEMENT D'UN MINISTRE DISGRACIE CONTRE QUI SON SOUVERAIN ETAIT EN COLERE. JE DONNE VINGT MILLE PIECES D'OR A CHACUN DE CEUX DONT ON VIENT DE RECITER LES ACTIONS GENEREUSES ; MAIS JE DONNE LA COUPE A ZADIG. - SIRE, LUI DIT-IL, C'EST VOTRE MAJESTE SEULE QUI MERITE LA COUPE, C'EST ELLE QUI A FAIT L'ACTION LA PLUS INOUIE, PUISQUE, ETANT ROI, VOUS NE VOUS ETES POINT FACHE CONTRE VOTRE ESCLAVE, LORSQU'IL CONTREDISAIT VOTRE PASSION. " ON ADMIRA LE ROI ET ZADIG. LE JUGE QUI AVAIT DONNE SON BIEN, L'AMANT QUI AVAIT MARIE SA MAITRESSE A SON AMI, LE SOLDAT QUI AVAIT PREFERE LE SALUT DE SA MERE A CELUI DE SA MAITRESSE, RECURENT LES PRESENTS DU MONARQUE : ILS VIRENT LEURS NOMS ECRITS DANS LE LIVRE DES GENEREUX ; ZADIG EUT LA COUPE. LE ROI ACQUIT LA REPUTATION D'UN BON PRINCE, QU'IL NE GARDA PAS LONGTEMPS. CE JOUR FUT CONSACRE PAR DES FETES PLUS LONGUES QUE LA LOI NE LE PORTAIT. LA MEMOIRE S'EN CONSERVE ENCORE DANS L'ASIE, ZADIG DISAIT : "JE SUIS DONC ENFIN HEUREUX !" MAIS IL SE TROMPAIT. CHAPITRE 6 - LE MINISTRE LE ROI AVAIT PERDU SON PREMIER MINISTRE. IL CHOISIT ZADIG POUR REMPLIR CETTE PLACE. TOUTES LES BELLES DAMES DE BABYLONE APPLAUDIRENT A CE CHOIX, CAR DEPUIS LA FONDATION DE L'EMPIRE IL N'Y AVAIT JAMAIS EU DE MINISTRE SI JEUNE. TOUS LES COURTISANS FURENT FACHES ; L'ENVIEUX EN EUT UN CRACHEMENT DE SANG, ET LE NEZ LUI ENFLA PRODIGIEUSEMENT. ZADIG AYANT REMERCIE LE ROI ET LA REINE, ALLA REMERCIER AUSSI LE PERROQUET : "BEL OISEAU, LUI DIT-IL, C'EST VOUS QUI M'AVEZ SAUVE LA VIE, ET QUI M'AVEZ FAIT PREMIER MINISTRE : LA CHIENNE ET LE CHEVAL DE LEURS MAJESTES M'AVAIENT FAIT BEAUCOUP DE MAL, MAIS VOUS M'AVEZ FAIT DU BIEN. VOILA DONC DE QUOI DEPENDENT LES DESTINS DES HOMMES ! MAIS, AJOUTA-T-IL, UN BONHEUR SI ETRANGE SERA PEUT-ETRE BIENTOT EVANOUI. " LE PERROQUET REPONDIT : "OUI. " CE MOT FRAPPA ZADIG. CEPENDANT, COMME IL ETAIT BON PHYSICIEN, ET QU'IL NE CROYAIT PAS QUE LES PERROQUETS FUSSENT PROPHETES, IL SE RASSURA BIENTOT ; IL SE MIT A EXERCER SON MINISTERE DE SON MIEUX. IL FIT SENTIR A TOUT LE MONDE LE POUVOIR SACRE DES LOIS, ET NE FIT SENTIR A PERSONNE LE POIDS DE SA DIGNITE. IL NE GENA POINT LES VOIX DU DIVAN, ET CHAQUE VIZIR POUVAIT AVOIR UN AVIS SANS LUI DEPLAIRE. QUAND IL JUGEAIT UNE AFFAIRE, CE N'ETAIT PAS LUI QUI JUGEAIT, C'ETAIT LA LOI ; MAIS QUAND ELLE ETAIT TROP SEVERE, IL LA TEMPERAIT ; ET QUAND ON MANQUAIT DE LOIS, SON EQUITE EN FAISAIT QU'ON AURAIT PRISES POUR CELLES DE ZOROASTRE. C'EST DE LUI QUE LES NATIONS TIENNENT CE GRAND PRINCIPE : QU'IL VAUT MIEUX HASARDER DE SAUVER UN COUPABLE QUE DE CONDAMNER UN INNOCENT. IL CROYAIT QUE LES LOIS ETAIENT FAITES POUR SECOURIR LES CITOYENS AUTANT QUE POUR LES INTIMIDER. SON PRINCIPAL TALENT ETAIT DE DEMELER LA VERITE, QUE TOUS LES HOMMES CHERCHENT A OBSCURCIR. DES LES PREMIERS JOURS DE SON ADMINISTRATION IL MIT CE GRAND TALENT EN USAGE. UN FAMEUX NEGOCIANT DE BABYLONE ETAIT MORT AUX INDES ; IL AVAIT FAIT SES HERITIERS SES DEUX FILS PAR PORTIONS EGALES, APRES AVOIR MARIE LEUR SOEUR, ET IL LAISSAIT UN PRESENT DE TRENTE MILLE PIECES D'OR A CELUI DE SES DEUX FILS QUI SERAIT JUGE L'AIMER DAVANTAGE. L'AINE LUI BATIT UN TOMBEAU, LE SECOND AUGMENTA D'UNE PARTIE DE SON HERITAGE LA DOT DE SA SOEUR ; CHACUN DISAIT : "C'EST L'AINE QUI AIME LE MIEUX SON PERE, LE CADET AIME MIEUX SA SOEUR ; C'EST A L'AINE QU'APPARTIENNENT LES TRENTE MILLE PIECES. " ZADIG LES FIT VENIR TOUS DEUX L'UN APRES L'AUTRE. IL DIT A L'AINE : "VOTRE PERE N'EST POINT MORT, IL EST GUERI DE SA DERNIERE MALADIE, IL REVIENT A BABYLONE. - DIEU SOIT LOUE, REPONDIT LE JEUNE HOMME ; MAIS VOILA UN TOMBEAU QUI M'A COUTE BIEN CHER !" ZADIG DIT ENSUITE LA MEME CHOSE AU CADET. "DIEU SOIT LOUE ! REPONDIT-IL ; JE VAIS RENDRE A MON PERE TOUT CE QUE J'AI ; MAIS JE VOUDRAIS QU'IL LAISSAT A MA SOEUR CE QUE JE LUI AI DONNE. - VOUS NE RENDREZ RIEN, DIT ZADIG, ET VOUS AUREZ LES TRENTE MILLE PIECES : C'EST VOUS QUI AIMEZ LE MIEUX VOTRE PERE. " UNE FILLE FORT RICHE AVAIT FAIT UNE PROMESSE DE MARIAGE A DEUX MAGES, ET, APRES AVOIR RECU QUELQUES MOIS DES INSTRUCTIONS DE L'UN ET DE L'AUTRE, ELLE SE TROUVA GROSSE. ILS VOULAIENT TOUS DEUX L'EPOUSER. "JE PRENDRAI POUR MON MARI, DIT-ELLE, CELUI DES DEUX QUI M'A MISE EN ETAT DE DONNER UN CITOYEN A L'EMPIRE. - C'EST MOI QUI AI FAIT CETTE BONNE OEUVRE, DIT L'UN. - C'EST MOI QUI AI EU CET AVANTAGE, DIT L'AUTRE. - EH BIEN ! REPONDIT-ELLE, JE RECONNAIS POUR PERE DE L'ENFANT CELUI DES DEUX QUI LUI POURRA DONNER LA MEILLEURE EDUCATION. " ELLE ACCOUCHA D'UN FILS. CHACUN DES MAGES VEUT L'ELEVER. LA CAUSE EST PORTEE DEVANT ZADIG. IL FAIT VENIR LES DEUX MAGES. "QU'ENSEIGNERAS-TU A TON PUPILLE ? DIT-IL AU PREMIER. - JE LUI APPRENDRAI, DIT LE DOCTEUR, LES HUIT PARTIES D'ORAISON, LA DIALECTIQUE, L'ASTROLOGIE, LA DEMONOMANIE ; CE QUE C'EST QUE LA SUBSTANCE ET L'ACCIDENT, L'ABSTRAIT ET LE CONCRET, LES MONADES ET L'HARMONIE PREETABLIE. - MOI, DIT LE SECOND, JE TACHERAI DE LE RENDRE JUSTE ET DIGNE D'AVOIR DES AMIS. " ZADIG PRONONCA : "QUE TU SOIS SON PERE OU NON, TU EPOUSERAS SA MERE. " IL VENAIT TOUS LES JOURS DES PLAINTES A LA COUR CONTRE L'ITIMADOULET DE MEDIE, NOMME IRAX. C'ETAIT UN GRAND SEIGNEUR DONT LE FONDS N'ETAIT PAS MAUVAIS, MAIS QUI ETAIT CORROMPU PAR LA VANITE ET PAR LA VOLUPTE. IL SOUFFRAIT RAREMENT QU'ON LUI PARLAT, ET JAMAIS QU'ON L'OSAT CONTREDIRE. LES PAONS NE SONT PAS PLUS VAINS, LES COLOMBES NE SONT PAS PLUS VOLUPTUEUSES, LES TORTUES ONT MOINS DE PARESSE ; IL NE RESPIRAIT QUE LA FAUSSE GLOIRE ET LES FAUX PLAISIRS : ZADIG ENTREPRIT DE LE CORRIGER. IL LUI ENVOYA DE LA PART DU ROI UN MAITRE DE MUSIQUE AVEC DOUZE VOIX ET VINGT-QUATRE VIOLONS, UN MAITRE-D'HOTEL AVEC SIX CUISINIERS ET QUATRE CHAMBELLANS, QUI NE DEVAIENT PAS LE QUITTER. L'ORDRE DU ROI PORTAIT QUE L'ETIQUETTE SUIVANTE SERAIT INVIOLABLEMENT OBSERVEE ; ET VOICI COMME LES CHOSES SE PASSERENT. LE PREMIER JOUR, DES QUE LE VOLUPTUEUX IRAX FUT EVEILLE, LE MAITRE DE MUSIQUE ENTRA, SUIVI DES VOIX ET DES VIOLONS : ON CHANTA UNE CANTATE QUI DURA DEUX HEURES, ET, DE TROIS MINUTES EN TROIS MINUTES, LE REFRAIN ETAIT : QUE SON MERITE EST EXTREME ! QUE DE GRACES ! QUE DE GRANDEUR ! AH ! COMBIEN MONSEIGNEUR DOIT ETRE CONTENT DE LUI-MEME ! APRES L'EXECUTION DE LA CANTATE, UN CHAMBELLAN LUI FIT UNE HARANGUE DE TROIS QUARTS D'HEURE, DANS LAQUELLE ON LE LOUAIT EXPRESSEMENT DE TOUTES LES BONNES QUALITES QUI LUI MANQUAIENT. LA HARANGUE FINIE, ON LE CONDUISIT A TABLE AU SON DES INSTRUMENTS. LE DINER DURA TROIS HEURES ; DES QU'IL OUVRIT LA BOUCHE POUR PARLER, LE PREMIER CHAMBELLAN DIT : "IL AURA RAISON. " A PEINE EUT-IL PRONONCE QUATRE PAROLES QUE LE SECOND CHAMBELLAN S'ECRIA : " IL A RAISON !" LES DEUX AUTRES CHAMBELLANS FIRENT DE GRANDS ECLATS DE RIRE DES BONS MOTS QU'IRAX AVAIT DITS OU QU'IL AVAIT DU DIRE. APRES DINER ON LUI REPETA LA CANTATE. CETTE PREMIERE JOURNEE LUI PARUT DELICIEUSE, IL CRUT QUE LE ROI DES ROIS L'HONORAIT SELON SES MERITES ; LA SECONDE LUI PARUT MOINS AGREABLE ; LA TROISIEME FUT GENANTE ; LA QUATRIEME FUT INSUPPORTABLE ; LA CINQUIEME FUT UN SUPPLICE : ENFIN, OUTRE D'ENTENDRE TOUJOURS CHANTER : AH ! COMBIEN MONSEIGNEUR DOIT ETRE CONTENT DE LUI-MEME ! D'ENTENDRE TOUJOURS DIRE QU'IL AVAIT RAISON, ET D'ETRE HARANGUE CHAQUE JOUR A LA MEME HEURE, IL ECRIVIT EN COUR POUR SUPPLIER LE ROI QU'IL DAIGNAT RAPPELER SES CHAMBELLANS, SES MUSICIENS, SON MAITRE D'HOTEL ; IL PROMIT D'ETRE DESORMAIS MOINS VAIN ET PLUS APPLIQUE ; IL SE FIT MOINS ENCENSER, EUT MOINS DE FETES, ET FUT PLUS HEUREUX ; CAR, COMME DIT LE SADDER, TOUJOURS DU PLAISIR N'EST PAS DU PLAISIR. CHAPITRE 7 - LES DISPUTES ET LES AUDIENCES C'EST AINSI QUE ZADIG MONTRAIT TOUS LES JOURS LA SUBTILITE DE SON GENIE ET LA BONTE DE SON AME ; ON L'ADMIRAIT, ET CEPENDANT ON L'AIMAIT. IL PASSAIT POUR LE PLUS FORTUNE DE TOUS LES HOMMES, TOUT L'EMPIRE ETAIT REMPLI DE SON NOM ; TOUTES LES FEMMES LE LORGNAIENT ; TOUS LES CITOYENS CELEBRAIENT SA JUSTICE ; LES SAVANTS LE REGARDAIENT COMME LEUR ORACLE ; LES PRETRES MEME AVOUAIENT QU'IL EN SAVAIT PLUS QUE LE VIEUX ARCHIMAGE YEBOR. ON ETAIT BIEN LOIN ALORS DE LUI FAIRE DES PROCES SUR LES GRIFFONS ; ON NE CROYAIT QUE CE QUI LUI SEMBLAIT CROYABLE. IL Y AVAIT UNE GRANDE QUERELLE DANS BABYLONE, QUI DURAIT DEPUIS QUINZE CENTS ANNEES, ET QUI PARTAGEAIT L'EMPIRE EN DEUX SECTES OPINIATRES : L'UNE PRETENDAIT QU'IL NE FALLAIT JAMAIS ENTRER DANS LE TEMPLE DE MITHRA QUE DU PIED GAUCHE ; L'AUTRE AVAIT CETTE COUTUME EN ABOMINATION, ET N'ENTRAIT JAMAIS QUE DU PIED DROIT. ON ATTENDAIT LE JOUR DE LA FETE SOLENNELLE DU FEU SACRE POUR SAVOIR QUELLE SECTE SERAIT FAVORISEE PAR ZADIG. L'UNIVERS AVAIT LES YEUX SUR SES DEUX PIEDS, ET TOUTE LA VILLE ETAIT EN AGITATION ET EN SUSPENS. ZADIG ENTRA DANS LE TEMPLE EN SAUTANT A PIEDS JOINTS, ET IL PROUVA ENSUITE, PAR UN DISCOURS ELOQUENT, QUE LE DIEU DU CIEL ET DE LA TERRE, QUI N'A ACCEPTION DE PERSONNE, NE FAIT PAS PLUS DE CAS DE LA JAMBE GAUCHE QUE DE LA JAMBE DROITE. L'ENVIEUX ET SA FEMME PRETENDIRENT QUE DANS SON DISCOURS IL N'Y AVAIT PAS ASSEZ DE FIGURES, QU'IL N'AVAIT PAS FAIT ASSEZ DANSER LES MONTAGNES ET LES COLLINES. "IL EST SEC ET SANS GENIE, DISAIENT-ILS ; ON NE VOIT CHEZ LUI NI LA MER S'ENFUIR, NI LES ETOILES TOMBER, NI LE SOLEIL SE FONDRE COMME DE LA CIRE : IL N'A POINT LE BON STYLE ORIENTAL. " ZADIG SE CONTENTAIT D'AVOIR LE STYLE DE LA RAISON. TOUT LE MONDE FUT POUR LUI, NON PAS PARCE QU'IL ETAIT DANS LE BON CHEMIN, NON PAS PARCE QU'IL ETAIT RAISONNABLE, NON PAS PARCE QU'IL ETAIT AIMABLE, MAIS PARCE QU'IL ETAIT PREMIER VIZIR. IL TERMINA AUSSI HEUREUSEMENT LE GRAND PROCES ENTRE LES MAGES BLANCS ET LES MAGES NOIRS. LES BLANCS SOUTENAIENT QUE C'ETAIT UNE IMPIETE DE SE TOURNER, EN PRIANT DIEU, VERS L'ORIENT D'HIVER ; LES NOIRS ASSURAIENT QUE DIEU AVAIT EN HORREUR LES PRIERES DES HOMMES QUI SE TOURNAIENT VERS LE COUCHANT D'ETE. ZADIG ORDONNA QU'ON SE TOURNAT COMME ON VOUDRAIT. IL TROUVA AINSI LE SECRET D'EXPEDIER LE MATIN LES AFFAIRES PARTICULIERES ET LES GENERALES ; LE RESTE DU JOUR, IL S'OCCUPAIT DES EMBELLISSEMENTS DE BABYLONE : IL FAISAIT REPRESENTER DES TRAGEDIES OU L'ON PLEURAIT, ET DES COMEDIES OU L'ON RIAIT ; CE QUI ETAIT PASSE DE MODE DEPUIS LONGTEMPS, ET CE QU'IL FIT RENAITRE PARCE QU'IL AVAIT DU GOUT. IL NE PRETENDAIT PAS EN SAVOIR PLUS QUE LES ARTISTES ; IL LES RECOMPENSAIT PAR DES BIENFAITS ET DES DISTINCTIONS, ET N'ETAIT POINT JALOUX EN SECRET DE LEURS TALENTS. LE SOIR, IL AMUSAIT BEAUCOUP LE ROI, ET SURTOUT LA REINE. LE ROI DISAIT : "LE GRAND MINISTRE !" LA REINE DISAIT : "L'AIMABLE MINISTRE !" ET TOUS DEUX AJOUTAIENT : "C'EUT ETE GRAND DOMMAGE QU'IL EUT ETE PENDU. " JAMAIS HOMME EN PLACE NE FUT OBLIGE DE DONNER TANT D'AUDIENCES AUX DAMES. LA PLUPART VENAIENT LUI PARLER DES AFFAIRES QU'ELLES N'AVAIENT POINT, POUR EN AVOIR UNE AVEC LUI. LA FEMME DE L'ENVIEUX S'Y PRESENTA DES PREMIERES ; ELLE LUI JURA PAR MITHRA, PAR LE ZEND-AVESTA, ET PAR LE FEU SACRE, QU'ELLE AVAIT DETESTE LA CONDUITE DE SON MARI ; ELLE LUI CONFIA ENSUITE QUE CE MARI ETAIT UN JALOUX, UN BRUTAL ; ELLE LUI FIT ENTENDRE QUE LES DIEUX LE PUNISSAIENT EN LUI REFUSANT LES PRECIEUX EFFETS DE CE FEU SACRE PAR LEQUEL SEUL L'HOMME EST SEMBLABLE AUX IMMORTELS : ELLE FINIT PAR LAISSER TOMBER SA JARRETIERE ; ZADIG LA RAMASSA AVEC SA POLITESSE ORDINAIRE ; MAIS IL NE LA RATTACHA POINT AU GENOU DE LA DAME ; ET CETTE PETITE FAUTE, SI C'EN EST UNE, FUT LA CAUSE DES PLUS HORRIBLES INFORTUNES. ZADIG N'Y PENSA PAS, ET LA FEMME DE L'ENVIEUX Y PENSA BEAUCOUP. D'AUTRES DAMES SE PRESENTAIENT TOUS LES JOURS. LES ANNALES SECRETES DE BABYLONE PRETENDENT QU'IL SUCCOMBA UNE FOIS, MAIS QU'IL FUT TOUT ETONNE DE JOUIR SANS VOLUPTE, ET D'EMBRASSER SON AMANTE AVEC DISTRACTION. CELLE A QUI IL DONNA, SANS PRESQUE S'EN APERCEVOIR, DES MARQUES DE SA PROTECTION, ETAIT UNE FEMME DE CHAMBRE DE LA REINE ASTARTE. CETTE TENDRE BABYLONIENNE SE DISAIT A ELLE-MEME POUR SE CONSOLER : "IL FAUT QUE CET HOMME-LA AIT PRODIGIEUSEMENT D'AFFAIRES DANS LA TETE, PUISQU'IL Y SONGE ENCORE MEME EN FAISANT L'AMOUR. " IL ECHAPPA A ZADIG, DANS LES INSTANTS OU PLUSIEURS PERSONNES NE DISENT MOT, ET OU D'AUTRES NE PRONONCENT QUE DES PAROLES SACREES, DE S'ECRIER TOUT D'UN COUP : "LA REINE !" LA BABYLONIENNE CRUT QU'ENFIN IL ETAIT REVENU A LUI DANS UN BON MOMENT, ET QU'IL LUI DISAIT : "MA REINE. " MAIS ZADIG, TOUJOURS TRES-DISTRAIT, PRONONCA LE NOM D'ASTARTE. LA DAME, QUI DANS CES HEUREUSES CIRCONSTANCES INTERPRETAIT TOUT A SON AVANTAGE, S'IMAGINA QUE CELA VOULAIT DIRE : "VOUS ETES PLUS BELLE QUE LA REINE ASTARTE. " ELLE SORTIT DU SERAIL DE ZADIG AVEC DE TRES-BEAUX PRESENTS. ELLE ALLA CONTER SON AVENTURE A L'ENVIEUSE, QUI ETAIT SON AMIE INTIME ; CELLE-CI FUT CRUELLEMENT PIQUEE DE LA PREFERENCE. "IL N'A PAS DAIGNE SEULEMENT, DIT-ELLE, ME RATTACHER CETTE JARRETIERE QUE VOICI, ET DONT JE NE VEUX PLUS ME SERVIR. - OH ! OH ! DIT LA FORTUNEE A L'ENVIEUSE, VOUS PORTEZ LES MEMES JARRETIERES QUE LA REINE ! VOUS LES PRENEZ DONC CHEZ LA MEME FAISEUSE ?" L'ENVIEUSE REVA PROFONDEMENT, NE REPONDIT RIEN, ET ALLA CONSULTER SON MARI L'ENVIEUX. CEPENDANT ZADIG S'APERCEVAIT QU'IL AVAIT TOUJOURS DES DISTRACTIONS QUAND IL DONNAIT DES AUDIENCES, ET QUAND IL JUGEAIT ; IL NE SAVAIT A QUOI LES ATTRIBUER : C'ETAIT LA SA SEULE PEINE. IL EUT UN SONGE : IL LUI SEMBLAIT QU'IL ETAIT COUCHE D'ABORD SUR DES HERBES SECHES, PARMI LESQUELLES IL Y EN AVAIT QUELQUES UNES DE PIQUANTES QUI L'INCOMMODAIENT ; ET QU'ENSUITE IL REPOSAIT MOLLEMENT SUR UN LIT DE ROSES, DONT IL SORTAIT UN SERPENT QUI LE BLESSAIT AU COEUR DE SA LANGUE ACEREE ET ENVENIMEE. "HELAS ! DISAIT-IL, J'AI ETE LONGTEMPS COUCHE SUR CES HERBES SECHES ET PIQUANTES, JE SUIS MAINTENANT SUR LE LIT DE ROSES, MAIS QUEL SERA LE SERPENT ?" CHAPITRE 8 - LA JALOUSIE LE MALHEUR DE ZADIG VINT DE SON BONHEUR MEME, ET SURTOUT DE SON MERITE. IL AVAIT TOUS LES JOURS DES ENTRETIENS AVEC LE ROI ET AVEC ASTARTE, SON AUGUSTE EPOUSE. LES CHARMES DE SA CONVERSATION REDOUBLAIENT ENCORE PAR CETTE ENVIE DE PLAIRE QUI EST A L'ESPRIT CE QUE LA PARURE EST A LA BEAUTE ; SA JEUNESSE ET SES GRACES FIRENT INSENSIBLEMENT SUR ASTARTE UNE IMPRESSION DONT ELLE NE S'APERCUT PAS D'ABORD. SA PASSION CROISSAIT DANS LE SEIN DE L'INNOCENCE. ASTARTE SE LIVRAIT SANS SCRUPULE ET SANS CRAINTE AU PLAISIR DE VOIR ET D'ENTENDRE UN HOMME CHER A SON EPOUX ET A L'ETAT ; ELLE NE CESSAIT DE LE VANTER AU ROI ; ELLE EN PARLAIT A SES FEMMES, QUI ENCHERISSAIENT ENCORE SUR SES LOUANGES ; TOUT SERVAIT A ENFONCER DANS SON COEUR LE TRAIT QU'ELLE NE SENTAIT PAS. ELLE FAISAIT DES PRESENTS A ZADIG, DANS LESQUELS IL ENTRAIT PLUS DE GALANTERIE QU'ELLE NE PENSAIT ; ELLE CROYAIT NE LUI PARLER QU'EN REINE CONTENTE DE SES SERVICES, ET QUELQUEFOIS SES EXPRESSIONS ETAIENT D'UNE FEMME SENSIBLE. ASTARTE ETAIT BEAUCOUP PLUS BELLE QUE CETTE SEMIRE QUI HAISSAIT TANT LES BORGNES, ET QUE CETTE AUTRE FEMME QUI AVAIT VOULU COUPER LE NEZ A SON EPOUX. LA FAMILIARITE D'ASTARTE, SES DISCOURS TENDRES, DONT ELLE COMMENCAIT A ROUGIR, SES REGARDS, QU'ELLE VOULAIT DETOURNER, ET QUI SE FIXAIENT SUR LES SIENS, ALLUMERENT DANS LE COEUR DE ZADIG UN FEU DONT IL S'ETONNA. IL COMBATTIT ; IL APPELA A SON SECOURS LA PHILOSOPHIE, QUI L'AVAIT TOUJOURS SECOURU ; IL N'EN TIRA QUE DES LUMIERES, ET N'EN RECUT AUCUN SOULAGEMENT. LE DEVOIR, LA RECONNAISSANCE, LA MAJESTE SOUVERAINE VIOLEE, SE PRESENTAIENT A SES YEUX COMME DES DIEUX VENGEURS ; IL COMBATTAIT, IL TRIOMPHAIT ; MAIS CETTE VICTOIRE, QU'IL FALLAIT REMPORTER A TOUT MOMENT, LUI COUTAIT DES GEMISSEMENTS ET DES LARMES. IL N'OSAIT PLUS PARLER A LA REINE AVEC CETTE DOUCE LIBERTE QUI AVAIT EU TANT DE CHARMES POUR TOUS DEUX : SES YEUX SE COUVRAIENT D'UN NUAGE ; SES DISCOURS ETAIENT CONTRAINTS ET SANS SUITE : IL BAISSAIT LA VUE, ET QUAND, MALGRE LUI, SES REGARDS SE TOURNAIENT VERS ASTARTE, ILS RENCONTRAIENT CEUX DE LA REINE MOUILLES DE PLEURS, DONT IL PARTAIT DES TRAITS DE FLAMME ; ILS SEMBLAIENT SE DIRE L'UN A L'AUTRE : " NOUS NOUS ADORONS, ET NOUS CRAIGNONS DE NOUS AIMER ; NOUS BRULONS TOUS DEUX D'UN FEU QUE NOUS CONDAMNONS. " ZADIG SORTAIT D'AUPRES D'ELLE EGARE, EPERDU, LE COEUR SURCHARGE D'UN FARDEAU QU'IL NE POUVAIT PLUS PORTER : DANS LA VIOLENCE DE SES AGITATIONS, IL LAISSA PENETRER SON SECRET A SON AMI CADOR, COMME UN HOMME QUI, AYANT SOUTENU LONGTEMPS LES ATTEINTES D'UNE VIVE DOULEUR, FAIT ENFIN CONNAITRE SON MAL PAR UN CRI QU'UN REDOUBLEMENT AIGU LUI ARRACHE, ET PAR LA SUEUR FROIDE QUI COULE SUR SON FRONT. CADOR LUI DIT : "J'AI DEJA DEMELE LES SENTIMENTS QUE VOUS VOULIEZ VOUS CACHER A VOUS-MEME ; LES PASSIONS ONT DES SIGNES AUXQUELS ON NE PEUT SE MEPRENDRE. JUGEZ, MON CHER ZADIG, PUISQUE J'AI LU DANS VOTRE COEUR, SI LE ROI N'Y DECOUVRIRA PAS UN SENTIMENT QUI L'OFFENSE. IL N'A D'AUTRE DEFAUT QUE CELUI D'ETRE LE PLUS JALOUX DES HOMMES. VOUS RESISTEZ A VOTRE PASSION AVEC PLUS DE FORCE QUE LA REINE NE COMBAT LA SIENNE, PARCE QUE VOUS ETES PHILOSOPHE, ET PARCE QUE VOUS ETES ZADIG. ASTARTE EST FEMME ; ELLE LAISSE PARLER SES REGARDS AVEC D'AUTANT PLUS D'IMPRUDENCE QU'ELLE NE SE CROIT PAS ENCORE COUPABLE. MALHEUREUSEMENT RASSUREE SUR SON INNOCENCE, ELLE NEGLIGE DES DEHORS NECESSAIRES. JE TREMBLERAI POUR ELLE TANT QU'ELLE N'AURA RIEN A SE REPROCHER. SI VOUS ETIEZ D'ACCORD L'UN ET L'AUTRE, VOUS SAURIEZ TROMPER TOUS LES YEUX : UNE PASSION NAISSANTE ET COMBATTUE ECLATE ; UN AMOUR SATISFAIT SAIT SE CACHER. " ZADIG FREMIT A LA PROPOSITION DE TRAHIR LE ROI, SON BIENFAITEUR ; ET JAMAIS IL NE FUT PLUS FIDELE A SON PRINCE QUE QUAND IL FUT COUPABLE ENVERS LUI D'UN CRIME INVOLONTAIRE. CEPENDANT LA REINE PRONONCAIT SI SOUVENT LE NOM DE ZADIG, SON FRONT SE COUVRAIT DE TANT DE ROUGEUR EN LE PRONONCANT, ELLE ETAIT TANTOT SI ANIMEE, TANTOT SI INTERDITE, QUAND ELLE LUI PARLAIT EN PRESENCE DU ROI ; UNE REVERIE SI PROFONDE S'EMPARAIT D'ELLE QUAND IL ETAIT SORTI, QUE LE ROI FUT TROUBLE. IL CRUT TOUT CE QU'IL VOYAIT, ET IMAGINA TOUT CE QU'IL NE VOYAIT POINT. IL REMARQUA SURTOUT QUE LES BABOUCHES DE SA FEMME ETAIENT BLEUES, ET QUE LES BABOUCHES DE ZADIG ETAIENT BLEUES, QUE LES RUBANS DE SA FEMME ETAIENT JAUNES, ET QUE LE BONNET DE ZADIG ETAIT JAUNE ; C'ETAIENT LA DE TERRIBLES INDICES POUR UN PRINCE DELICAT. LES SOUPCONS SE TOURNERENT EN CERTITUDE DANS SON ESPRIT AIGRI. TOUS LES ESCLAVES DES ROIS ET DES REINES SONT AUTANT D'ESPIONS DE LEURS COEURS. ON PENETRA BIENTOT QU'ASTARTE ETAIT TENDRE, ET QUE MOABDAR ETAIT JALOUX. L'ENVIEUX ENGAGEA L'ENVIEUSE A ENVOYER AU ROI SA JARRETIERE, QUI RESSEMBLAIT A CELLE DE LA REINE. POUR SURCROIT DE MALHEUR, CETTE JARRETIERE ETAIT BLEUE. LE MONARQUE NE SONGEA PLUS QU'A LA MANIERE DE SE VENGER. IL RESOLUT UNE NUIT D'EMPOISONNER LA REINE, ET DE FAIRE MOURIR ZADIG PAR LE CORDEAU AU POINT DU JOUR. L'ORDRE EN FUT DONNE A UN IMPITOYABLE EUNUQUE, EXECUTEUR DE SES VENGEANCES. IL Y AVAIT ALORS DANS LA CHAMBRE DU ROI UN PETIT NAIN QUI ETAIT MUET, MAIS QUI N'ETAIT PAS SOURD. ON LE SOUFFRAIT TOUJOURS : IL ETAIT TEMOIN DE CE QUI SE PASSAIT DE PLUS SECRET, COMME UN ANIMAL DOMESTIQUE. CE PETIT MUET ETAIT TRES-ATTACHE A LA REINE ET A ZADIG. IL ENTENDIT, AVEC AUTANT DE SURPRISE QUE D'HORREUR, DONNER L'ORDRE DE LEUR MORT. MAIS COMMENT FAIRE POUR PREVENIR CET ORDRE EFFROYABLE, QUI ALLAIT S'EXECUTER DANS PEU D'HEURES ? IL NE SAVAIT PAS ECRIRE ; MAIS IL AVAIT APPRIS A PEINDRE, ET SAVAIT SURTOUT FAIRE RESSEMBLER. IL PASSA UNE PARTIE DE LA NUIT A CRAYONNER CE QU'IL VOULAIT FAIRE ENTENDRE A LA REINE. SON DESSIN REPRESENTAIT LE ROI AGITE DE FUREUR, DANS UN COIN DU TABLEAU, DONNANT DES ORDRES A SON EUNUQUE ; UN CORDEAU BLEU ET UN VASE SUR UNE TABLE, AVEC DES JARRETIERES BLEUES ET DES RUBANS JAUNES ; LA REINE, DANS LE MILIEU DU TABLEAU, EXPIRANTE ENTRE LES BRAS DE SES FEMMES ; ET ZADIG ETRANGLE A SES PIEDS. L'HORIZON REPRESENTAIT UN SOLEIL LEVANT POUR MARQUER QUE CETTE HORRIBLE EXECUTION DEVAIT SE FAIRE AUX PREMIERS RAYONS DE L'AURORE. DES QU'IL EUT FINI CET OUVRAGE, IL COURUT CHEZ UNE FEMME D'ASTARTE, LA REVEILLA, ET LUI FIT ENTENDRE QU'IL FALLAIT DANS L'INSTANT MEME PORTER CE TABLEAU A LA REINE. CEPENDANT, AU MILIEU DE LA NUIT, ON VIENT FRAPPER A LA PORTE DE ZADIG ; ON LE REVEILLE ; ON LUI DONNE UN BILLET DE LA REINE ; IL DOUTE SI C'EST UN SONGE ; IL OUVRE LA LETTRE D'UNE MAIN TREMBLANTE. QUELLE FUT SA SURPRISE, ET QUI POURRAIT EXPRIMER LA CONSTERNATION ET LE DESESPOIR DONT IL FUT ACCABLE QUAND IL LUT CES PAROLES : "FUYEZ, DANS L'INSTANT MEME, OU L'ON VA VOUS ARRACHER LA VIE ! FUYEZ, ZADIG ; JE VOUS L'ORDONNE AU NOM DE NOTRE AMOUR ET DE MES RUBANS JAUNES. JE N'ETAIS POINT COUPABLE ; MAIS JE SENS QUE JE VAIS MOURIR CRIMINELLE. " ZADIG EUT A PEINE LA FORCE DE PARLER. IL ORDONNA QU'ON FIT VENIR CADOR ; ET, SANS LUI RIEN DIRE, IL LUI DONNA CE BILLET. CADOR LE FORCA D'OBEIR, ET DE PRENDRE SUR-LE-CHAMP LA ROUTE DE MEMPHIS. "SI VOUS OSEZ ALLER TROUVER LA REINE, LUI DIT-IL, VOUS HATEZ SA MORT ; SI VOUS PARLEZ AU ROI, VOUS LA PERDEZ ENCORE. JE ME CHARGE DE SA DESTINEE ; SUIVEZ LA VOTRE. JE REPANDRAI LE BRUIT QUE VOUS AVEZ PRIS LA ROUTE DES INDES. JE VIENDRAI BIENTOT VOUS TROUVER, ET JE VOUS APPRENDRAI CE QUI SE SERA PASSE A BABYLONE. " CADOR, DANS LE MOMENT MEME, FIT PLACER DEUX DROMADAIRES DES PLUS LEGERS A LA COURSE VERS UNE PORTE SECRETE DU PALAIS ; IL Y FIT MONTER ZADIG, QU'IL FALLUT PORTER, ET QUI ETAIT PRES DE RENDRE L'AME. UN SEUL DOMESTIQUE L'ACCOMPAGNA ; ET BIENTOT CADOR, PLONGE DANS L'ETONNEMENT ET DANS LA DOULEUR, PERDIT SON AMI DE VUE. CET ILLUSTRE FUGITIF, ARRIVE SUR LE BORD D'UNE COLLINE DONT ON VOYAIT BABYLONE, TOURNA LA VUE SUR LE PALAIS DE LA REINE, ET S'EVANOUIT ; IL NE REPRIT SES SENS QUE POUR VERSER DES LARMES, ET POUR SOUHAITER LA MORT. ENFIN, APRES S'ETRE OCCUPE DE LA DESTINEE DEPLORABLE DE LA PLUS AIMABLE DES FEMMES ET DE LA PREMIERE REINE DU MONDE, IL FIT UN MOMENT DE RETOUR SUR LUI-MEME, ET S'ECRIA : "QU'EST-CE DONC QUE LA VIE HUMAINE ? O VERTU ! A QUOI M'AVEZ-VOUS SERVI ? DEUX FEMMES M'ONT INDIGNEMENT TROMPE ; LA TROISIEME, QUI N'EST POINT COUPABLE, ET QUI EST PLUS BELLE QUE LES AUTRES, VA MOURIR ! TOUT CE QUE J'AI FAIT DE BIEN A TOUJOURS ETE POUR MOI UNE SOURCE DE MALEDICTIONS, ET JE N'AI ETE ELEVE AU COMBLE DE LA GRANDEUR QUE POUR TOMBER DANS LE PLUS HORRIBLE PRECIPICE DE L'INFORTUNE. SI J'EUSSE ETE MECHANT COMME TANT D'AUTRES, JE SERAIS HEUREUX COMME EUX. " ACCABLE DE CES REFLEXIONS FUNESTES, LES YEUX CHARGES DU VOILE DE LA DOULEUR, LA PALEUR DE LA MORT SUR LE VISAGE, ET L'AME ABIMEE DANS L'EXCES D'UN SOMBRE DESESPOIR, IL CONTINUAIT SON VOYAGE VERS L'EGYPTE. CHAPITRE 9 - LA FEMME BATTUE ZADIG DIRIGEAIT SA ROUTE SUR LES ETOILES. LA CONSTELLATION D'ORION ET LE BRILLANT ASTRE DE SIRIUS LE GUIDAIENT VERS LE PORT DE CANOPE. IL ADMIRAIT CES VASTES GLOBES DE LUMIERE QUI NE PARAISSENT QUE DE FAIBLES ETINCELLES A NOS YEUX, TANDIS QUE LA TERRE, QUI N'EST EN EFFET QU'UN POINT IMPERCEPTIBLE DANS LA NATURE, PARAIT A NOTRE CUPIDITE QUELQUE CHOSE DE SI GRAND ET DE SI NOBLE. IL SE FIGURAIT ALORS LES HOMMES TELS QU'ILS SONT EN EFFET, DES INSECTES SE DEVORANT LES UNS LES AUTRES SUR UN PETIT ATOME DE BOUE. CETTE IMAGE VRAIE SEMBLAIT ANEANTIR SES MALHEURS, EN LUI RETRACANT LE NEANT DE SON ETRE ET CELUI DE BABYLONE. SON AME S'ELANCAIT JUSQUE DANS L'INFINI, ET CONTEMPLAIT, DETACHEE DE SES SENS, L'ORDRE IMMUABLE DE L'UNIVERS. MAIS LORSQUE ENSUITE, RENDU A LUI-MEME ET RENTRANT DANS SON COEUR, IL PENSAIT QU'ASTARTE ETAIT PEUT-ETRE MORTE POUR LUI, L'UNIVERS DISPARAISSAIT A SES YEUX, ET IL NE VOYAIT DANS LA NATURE ENTIERE QU'ASTARTE MOURANTE ET ZADIG INFORTUNE. COMME IL SE LIVRAIT A CE FLUX ET A CE REFLUX DE PHILOSOPHIE SUBLIME ET DE DOULEUR ACCABLANTE, IL AVANCAIT VERS LES FRONTIERES DE L'EGYPTE ; ET DEJA SON DOMESTIQUE FIDELE ETAIT DANS LA PREMIERE BOURGADE, OU IL LUI CHERCHAIT UN LOGEMENT. ZADIG CEPENDANT SE PROMENAIT VERS LES JARDINS QUI BORDAIENT CE VILLAGE. IL VIT, NON LOIN DU GRAND CHEMIN, UNE FEMME EPLOREE QUI APPELAIT LE CIEL ET LA TERRE A SON SECOURS, ET UN HOMME FURIEUX QUI LA SUIVAIT. ELLE ETAIT DEJA ATTEINTE PAR LUI, ELLE EMBRASSAIT SES GENOUX. CET HOMME L'ACCABLAIT DE COUPS ET DE REPROCHES. IL JUGEA, A LA VIOLENCE DE L'EGYPTIEN ET AUX PARDONS REITERES QUE LUI DEMANDAIT LA DAME, QUE L'UN ETAIT UN JALOUX, ET L'AUTRE UNE INFIDELE ; MAIS QUAND IL EUT CONSIDERE CETTE FEMME, QUI ETAIT D'UNE BEAUTE TOUCHANTE, ET QUI MEME RESSEMBLAIT UN PEU A LA MALHEUREUSE ASTARTE, IL SE SENTIT PENETRE DE COMPASSION POUR ELLE, ET D'HORREUR POUR L'EGYPTIEN. "SECOUREZ-MOI, S'ECRIA-T-ELLE A ZADIG AVEC DES SANGLOTS : TIREZ-MOI DES MAINS DU PLUS BARBARE DES HOMMES, SAUVEZ-MOI LA VIE !" A CES CRIS, ZADIG COURUT SE JETER ENTRE ELLE ET CE BARBARE. IL AVAIT QUELQUE CONNAISSANCE DE LA LANGUE EGYPTIENNE. IL LUI DIT EN CETTE LANGUE : "SI VOUS AVEZ QUELQUE HUMANITE, JE VOUS CONJURE DE RESPECTER LA BEAUTE ET LA FAIBLESSE. POUVEZ-VOUS OUTRAGER AINSI UN CHEF-D'OEUVRE DE LA NATURE, QUI EST A VOS PIEDS, ET QUI N'A POUR SA DEFENSE QUE DES LARMES ? - AH ! AH ! LUI DIT CET EMPORTE, TU L'AIMES DONC AUSSI ! ET C'EST DE TOI QU'IL FAUT QUE JE ME VENGE. " EN DISANT CES PAROLES, IL LAISSE LA DAME, QU'IL TENAIT D'UNE MAIN PAR LES CHEVEUX, ET, PRENANT SA LANCE, IL VEUT EN PERCER L'ETRANGER. CELUI-CI, QUI ETAIT DE SANG-FROID, EVITA AISEMENT LE COUP D'UN FURIEUX. IL SE SAISIT DE LA LANCE PRES DU FER DONT ELLE EST ARMEE. L'UN VEUT LA RETIRER, L'AUTRE L'ARRACHER. ELLE SE BRISE ENTRE LEURS MAINS. L'EGYPTIEN TIRE SON EPEE ; ZADIG S'ARME DE LA SIENNE. ILS S'ATTAQUENT L'UN L'AUTRE. CELUI-LA PORTE CENT COUPS PRECIPITES ; CELUI-CI LES PARE AVEC ADRESSE. LA DAME, ASSISE SUR UN GAZON, RAJUSTE SA COIFFURE, ET LES REGARDE. L'EGYPTIEN ETAIT PLUS ROBUSTE QUE SON ADVERSAIRE, ZADIG ETAIT PLUS ADROIT. CELUI-CI SE BATTAIT EN HOMME DONT LA TETE CONDUISAIT LE BRAS, ET CELUI-LA COMME UN EMPORTE DONT UNE COLERE AVEUGLE GUIDAIT LES MOUVEMENTS AU HASARD. ZADIG PASSE A LUI, ET LE DESARME ; ET TANDIS QUE L'EGYPTIEN, DEVENU PLUS FURIEUX, VEUT SE JETER SUR LUI, IL LE SAISIT, LE PRESSE, LE FAIT TOMBER EN LUI TENANT L'EPEE SUR LA POITRINE ; IL LUI OFFRE DE LUI DONNER LA VIE. L'EGYPTIEN HORS DE LUI TIRE SON POIGNARD ; IL EN BLESSE ZADIG DANS LE TEMPS MEME QUE LE VAINQUEUR LUI PARDONNAIT. ZADIG, INDIGNE, LUI PLONGE SON EPEE DANS LE SEIN. L'EGYPTIEN JETTE UN CRI HORRIBLE, ET MEURT EN SE DEBATTANT. ZADIG ALORS S'AVANCA VERS LA DAME, ET LUI DIT D'UNE VOIX SOUMISE : "IL M'A FORCE DE LE TUER : JE VOUS AI VENGEE ; VOUS ETES DELIVREE DE L'HOMME LE PLUS VIOLENT QUE J'AIE JAMAIS VU. QUE VOULEZ-VOUS MAINTENANT DE MOI, MADAME ? - QUE TU MEURES, SCELERAT, LUI REPONDIT-ELLE ; QUE TU MEURES ! TU AS TUE MON AMANT ; JE VOUDRAIS POUVOIR DECHIRER TON COEUR. - EN VERITE, MADAME, VOUS AVIEZ LA UN ETRANGE HOMME POUR AMANT, LUI REPONDIT ZADIG ; IL VOUS BATTAIT DE TOUTES SES FORCES, ET IL VOULAIT M'ARRACHER LA VIE PARCE QUE VOUS M'AVEZ CONJURE DE VOUS SECOURIR. - JE VOUDRAIS QU'IL ME BATTIT ENCORE, REPRIT LA DAME EN POUSSANT DES CRIS. JE LE MERITAIS BIEN, JE LUI AVAIS DONNE DE LA JALOUSIE. PLUT AU CIEL QU'IL ME BATTIT, ET QUE TU FUSSES A SA PLACE !" ZADIG, PLUS SURPRIS ET PLUS EN COLERE QU'IL NE L'AVAIT ETE DE SA VIE, LUI DIT : "MADAME, TOUTE BELLE QUE VOUS ETES, VOUS MERITERIEZ QUE JE VOUS BATTISSE A MON TOUR, TANT VOUS ETES EXTRAVAGANTE ; MAIS JE N'EN PRENDRAI PAS LA PEINE. " LA-DESSUS IL REMONTA SUR SON CHAMEAU, ET AVANCA VERS LE BOURG. A PEINE AVAIT-IL FAIT QUELQUES PAS QU'IL SE RETOURNE AU BRUIT QUE FAISAIENT QUATRE COURRIERS DE BABYLONE. ILS VENAIENT A TOUTE BRIDE. L'UN D'EUX, EN VOYANT CETTE FEMME, S'ECRIA : "C'EST ELLE-MEME ! ELLE RESSEMBLE AU PORTRAIT QU'ON NOUS EN A FAIT. " ILS NE S'EMBARRASSERENT PAS DU MORT, ET SE SAISIRENT INCONTINENT DE LA DAME. ELLE NE CESSAIT DE CRIER A ZADIG : "SECOUREZ-MOI ENCORE UNE FOIS, ETRANGER GENEREUX ! JE VOUS DEMANDE PARDON DE M'ETRE PLAINTE DE VOUS : SECOUREZ-MOI, ET JE SUIS A VOUS JUSQU'AU TOMBEAU !" L'ENVIE AVAIT PASSE A ZADIG DE SE BATTRE DESORMAIS POUR ELLE. "A D'AUTRES ! REPOND-IL ; VOUS NE M'Y ATTRAPEREZ PLUS. " D'AILLEURS IL ETAIT BLESSE, SON SANG COULAIT, IL AVAIT BESOIN DE SECOURS ; ET LA VUE DES QUATRE BABYLONIENS, PROBABLEMENT ENVOYES PAR LE ROI MOABDAR, LE REMPLISSAIT D'INQUIETUDE. IL S'AVANCE EN HATE VERS LE VILLAGE, N'IMAGINANT PAS POURQUOI QUATRE COURRIERS DE BABYLONE VENAIENT PRENDRE CETTE EGYPTIENNE, MAIS ENCORE PLUS ETONNE DU CARACTERE DE CETTE DAME. CHAPITRE 10 - L'ESCLAVAGE COMME IL ENTRAIT DANS LA BOURGADE EGYPTIENNE, IL SE VIT ENTOURE PAR LE PEUPLE. CHACUN CRIAIT : "VOILA CELUI QUI A ENLEVE LA BELLE MISSOUF, ET QUI VIENT D'ASSASSINER CLETOFIS ! - MESSIEURS, DIT-IL, DIEU ME PRESERVE D'ENLEVER JAMAIS VOTRE BELLE MISSOUF ! ELLE EST TROP CAPRICIEUSE ; ET, A L'EGARD DE CLETOFIS, JE NE L'AI POINT ASSASSINE ; JE ME SUIS DEFENDU SEULEMENT CONTRE LUI. IL VOULAIT ME TUER, PARCE QUE JE LUI AVAIS DEMANDE TRES-HUMBLEMENT GRACE POUR LA BELLE MISSOUF, QU'IL BATTAIT IMPITOYABLEMENT. JE SUIS UN ETRANGER QUI VIENT CHERCHER UN ASILE DANS L'EGYPTE ; ET IL N'Y A PAS D'APPARENCE QU'EN VENANT DEMANDER VOTRE PROTECTION J'AIE COMMENCE PAR ENLEVER UNE FEMME, ET PAR ASSASSINER UN HOMME. " LES EGYPTIENS ETAIENT ALORS JUSTES ET HUMAINS. LE PEUPLE CONDUISIT ZADIG A LA MAISON DE VILLE. ON COMMENCA PAR LE FAIRE PANSER DE SA BLESSURE, ET ENSUITE ON L'INTERROGEA, LUI ET SON DOMESTIQUE SEPAREMENT, POUR SAVOIR LA VERITE. ON RECONNUT QUE ZADIG N'ETAIT POINT UN ASSASSIN ; MAIS IL ETAIT COUPABLE DU SANG D'UN HOMME : LA LOI LE CONDAMNAIT A ETRE ESCLAVE. ON VENDIT AU PROFIT DE LA BOURGADE SES DEUX CHAMEAUX ; ON DISTRIBUA AUX HABITANTS TOUT L'OR QU'IL AVAIT APPORTE ; SA PERSONNE FUT EXPOSEE EN VENTE DANS LA PLACE PUBLIQUE, AINSI QUE CELLE DE SON COMPAGNON DE VOYAGE. UN MARCHAND ARABE, NOMME SETOC, Y MIT L'ENCHERE ; MAIS LE VALET, PLUS PROPRE A LA FATIGUE, FUT VENDU BIEN PLUS CHEREMENT QUE LE MAITRE. ON NE FAISAIT PAS DE COMPARAISON ENTRE CES DEUX HOMMES. ZADIG FUT DONC ESCLAVE SUBORDONNE A SON VALET : ON LES ATTACHA ENSEMBLE AVEC UNE CHAINE QU'ON LEUR PASSA AUX PIEDS, ET EN CET ETAT ILS SUIVIRENT LE MARCHAND ARABE DANS SA MAISON. ZADIG, EN CHEMIN, CONSOLAIT SON DOMESTIQUE, ET L'EXHORTAIT A LA PATIENCE ; MAIS, SELON SA COUTUME, IL FAISAIT DES REFLEXIONS SUR LA VIE HUMAINE. "JE VOIS, LUI DISAIT-IL, QUE LES MALHEURS DE MA DESTINEE SE REPANDENT SUR LA TIENNE. TOUT M'A TOURNE JUSQU'ICI D'UNE FACON BIEN ETRANGE. J'AI ETE CONDAMNE A L'AMENDE POUR AVOIR VU PASSER UNE CHIENNE ; J'AI PENSE ETRE EMPALE POUR UN GRIFFON ; J'AI ETE ENVOYE AU SUPPLICE PARCE QUE J'AVAIS FAIT DES VERS A LA LOUANGE DU ROI ; J'AI ETE SUR LE POINT D'ETRE ETRANGLE PARCE QUE LA REINE AVAIT DES RUBANS JAUNES, ET ME VOICI ESCLAVE AVEC TOI PARCE QU'UN BRUTAL A BATTU SA MAITRESSE. ALLONS, NE PERDONS POINT COURAGE ; TOUT CECI FINIRA PEUT-ETRE ; IL FAUT BIEN QUE LES MARCHANDS ARABES AIENT DES ESCLAVES ; ET POURQUOI NE LE SERAIS-JE PAS COMME UN AUTRE, PUISQUE JE SUIS HOMME COMME UN AUTRE ? CE MARCHAND NE SERA PAS IMPITOYABLE ; IL FAUT QU'IL TRAITE BIEN SES ESCLAVES, S'IL EN VEUT TIRER DES SERVICES. " IL PARLAIT AINSI, ET DANS LE FOND DE SON COEUR IL ETAIT OCCUPE DU SORT DE LA REINE DE BABYLONE. SETOC, LE MARCHAND, PARTIT DEUX JOURS APRES POUR L'ARABIE DESERTE AVEC SES ESCLAVES ET SES CHAMEAUX. SA TRIBU HABITAIT VERS LE DESERT D'HOREB. LE CHEMIN FUT LONG ET PENIBLE. SETOC, DANS LA ROUTE, FAISAIT BIEN PLUS DE CAS DU VALET QUE DU MAITRE, PARCE QUE LE PREMIER CHARGEAIT BIEN MIEUX LES CHAMEAUX ; ET TOUTES LES PETITES DISTINCTIONS FURENT POUR LUI. UN CHAMEAU MOURUT A DEUX JOURNEES D'HOREB : ON REPARTIT SA CHARGE SUR LE DOS DE CHACUN DES SERVITEURS ; ZADIG EN EUT SA PART. SETOC SE MIT A RIRE EN VOYANT TOUS SES ESCLAVES MARCHER COURBES. ZADIG PRIT LA LIBERTE DE LUI EN EXPLIQUER LA RAISON, ET LUI APPRIT LES LOIS DE L'EQUILIBRE. LE MARCHAND, ETONNE, COMMENCA A LE REGARDER D'UN AUTRE OEIL. ZADIG, VOYANT QU'IL AVAIT EXCITE SA CURIOSITE, LA REDOUBLA EN LUI APPRENANT BEAUCOUP DE CHOSES QUI N'ETAIENT POINT ETRANGERES A SON COMMERCE ; LES PESANTEURS SPECIFIQUES DES METAUX ET DES DENREES SOUS UN VOLUME EGAL ; LES PROPRIETES DE PLUSIEURS ANIMAUX UTILES ; LE MOYEN DE RENDRE TELS CEUX QUI NE L'ETAIENT PAS ; ENFIN IL LUI PARUT UN SAGE. SETOC LUI DONNA LA PREFERENCE SUR SON CAMARADE, QU'IL AVAIT TANT ESTIME. IL LE TRAITA BIEN, ET N'EUT PAS SUJET DE S'EN REPENTIR. ARRIVE DANS SA TRIBU, SETOC COMMENCA PAR REDEMANDER CINQ CENTS ONCES D'ARGENT A UN HEBREU AUQUEL IL LES AVAIT PRETEES EN PRESENCE DE DEUX TEMOINS ; MAIS CES DEUX TEMOINS ETAIENT MORTS, ET L'HEBREU, NE POUVANT ETRE CONVAINCU, S'APPROPRIAIT L'ARGENT DU MARCHAND, EN REMERCIANT DIEU DE CE QU'IL LUI AVAIT DONNE LE MOYEN DE TROMPER UN ARABE. SETOC CONFIA SA PEINE A ZADIG, QUI ETAIT DEVENU SON CONSEIL. "EN QUEL ENDROIT, DEMANDA ZADIG, PRETATES-VOUS VOS CINQ CENTS ONCES A CET INFIDELE ? - SUR UNE LARGE PIERRE, REPONDIT LE MARCHAND, QUI EST AUPRES DU MONT HOREB. - QUEL EST LE CARACTERE DE VOTRE DEBITEUR ? DIT ZADIG. - CELUI D'UN FRIPON, REPRIT SETOC. - MAIS JE VOUS DEMANDE SI C'EST UN HOMME VIF OU FLEGMATIQUE, AVISE OU IMPRUDENT. - C'EST DE TOUS LES MAUVAIS PAYEURS, DIT SETOC, LE PLUS VIF QUE JE CONNAISSE. - EH BIEN ! INSISTA ZADIG, PERMETTEZ QUE JE PLAIDE VOTRE CAUSE DEVANT LE JUGE. " EN EFFET IL CITA L'HEBREU AU TRIBUNAL, ET IL PARLA AINSI AU JUGE : "OREILLER DU TRONE D'EQUITE, JE VIENS REDEMANDER A CET HOMME, AU NOM DE MON MAITRE, CINQ CENTS ONCES D'ARGENT QU'IL NE VEUT PAS RENDRE. - AVEZ-VOUS DES TEMOINS ? DIT LE JUGE. - NON, ILS SONT MORTS ; MAIS IL RESTE UNE LARGE PIERRE SUR LAQUELLE L'ARGENT FUT COMPTE ; ET S'IL PLAIT A VOTRE GRANDEUR D'ORDONNER QU'ON AILLE CHERCHER LA PIERRE, J'ESPERE QU'ELLE PORTERA TEMOIGNAGE ; NOUS RESTERONS ICI, L'HEBREU ET MOI, EN ATTENDANT QUE LA PIERRE VIENNE ; JE L'ENVERRAI CHERCHER AUX DEPENS DE SETOC, MON MAITRE. - TRES-VOLONTIERS, REPONDIT LE JUGE ;" ET IL SE MIT A EXPEDIER D'AUTRES AFFAIRES. A LA FIN DE L'AUDIENCE : "EH BIEN ! DIT-IL A ZADIG, VOTRE PIERRE N'EST PAS ENCORE VENUE ?" L'HEBREU, EN RIANT, REPONDIT : "VOTRE GRANDEUR RESTERAIT ICI JUSQU'A DEMAIN QUE LA PIERRE NE SERAIT PAS ENCORE ARRIVEE ; ELLE EST A PLUS DE SIX MILLES D'ICI, ET IL FAUDRAIT QUINZE HOMMES POUR LA REMUER. - EH BIEN ! S'ECRIA ZADIG, JE VOUS AVAIS BIEN DIT QUE LA PIERRE PORTERAIT TEMOIGNAGE ; PUISQUE CET HOMME SAIT OU ELLE EST, IL AVOUE DONC QUE C'EST SUR ELLE QUE L'ARGENT FUT COMPTE. " L'HEBREU, DECONCERTE, FUT BIENTOT CONTRAINT DE TOUT AVOUER. LE JUGE ORDONNA QU'IL SERAIT LIE A LA PIERRE, SANS BOIRE NI MANGER, JUSQU'A CE QU'IL EUT RENDU LES CINQ CENTS ONCES, QUI FURENT BIENTOT PAYEES. L'ESCLAVE ZADIG ET LA PIERRE FURENT EN GRANDE RECOMMANDATION DANS L'ARABIE. CHAPITRE 11 - LE BUCHER SETOC, ENCHANTE, FIT DE SON ESCLAVE SON AMI INTIME. IL NE POUVAIT PAS PLUS SE PASSER DE LUI QU'AVAIT FAIT LE ROI DE BABYLONE ; ET ZADIG FUT HEUREUX QUE SETOC N'EUT POINT DE FEMME. IL DECOUVRAIT DANS SON MAITRE UN NATUREL PORTE AU BIEN, BEAUCOUP DE DROITURE ET DE BON SENS. IL FUT FACHE DE VOIR QU'IL ADORAIT L'ARMEE CELESTE, C'EST-A-DIRE LE SOLEIL, LA LUNE, ET LES ETOILES, SELON L'ANCIEN USAGE D'ARABIE. IL LUI EN PARLAIT QUELQUEFOIS AVEC BEAUCOUP DE DISCRETION. ENFIN IL LUI DIT QUE C'ETAIENT DES CORPS COMME LES AUTRES, QUI NE MERITAIENT PAS PLUS SON HOMMAGE QU'UN ARBRE OU UN ROCHER. " MAIS, DISAIT SETOC, CE SONT DES ETRES ETERNELS DONT NOUS TIRONS TOUS NOS AVANTAGES ; ILS ANIMENT LA NATURE ; ILS REGLENT LES SAISONS ; ILS SONT D'AILLEURS SI LOIN DE NOUS QU'ON NE PEUT PAS S'EMPECHER DE LES REVERER. - VOUS RECEVEZ PLUS D'AVANTAGES, REPONDIT ZADIG, DES EAUX DE LA MER ROUGE, QUI PORTE VOS MARCHANDISES AUX INDES. POURQUOI NE SERAIT-ELLE PAS AUSSI ANCIENNE QUE LES ETOILES ? ET SI VOUS ADOREZ CE QUI EST ELOIGNE DE VOUS, VOUS DEVEZ ADORER LA TERRE DES GANGARIDES, QUI EST AUX EXTREMITES DU MONDE. - NON, DISAIT SETOC, LES ETOILES SONT TROP BRILLANTES POUR QUE JE NE LES ADORE PAS. " LE SOIR VENU, ZADIG ALLUMA UN GRAND NOMBRE DE FLAMBEAUX DANS LA TENTE OU IL DEVAIT SOUPER AVEC SETOC ; ET DES QUE SON PATRON PARUT, IL SE JETA A GENOUX DEVANT CES CIRES ALLUMEES, ET LEUR DIT : "ETERNELLES ET BRILLANTES CLARTES, SOYEZ-MOI TOUJOURS PROPICES !" AYANT PROFERE CES PAROLES, IL SE MIT A TABLE SANS REGARDER SETOC. "QUE FAITES-VOUS DONC ? LUI DIT SETOC ETONNE. - JE FAIS COMME VOUS, REPONDIT ZADIG ; J'ADORE CES CHANDELLES, ET JE NEGLIGE LEUR MAITRE ET LE MIEN. " SETOC COMPRIT LE SENS PROFOND DE CET APOLOGUE. LA SAGESSE DE SON ESCLAVE ENTRA DANS SON AME ; IL NE PRODIGUA PLUS SON ENCENS AUX CREATURES, ET ADORA L'ETRE ETERNEL QUI LES A FAITES. IL Y AVAIT ALORS DANS L'ARABIE UNE COUTUME AFFREUSE, VENUE ORIGINAIREMENT DE SCYTHIE, ET QUI, S'ETANT ETABLIE DANS LES INDES PAR LE CREDIT DES BRACHMANES, MENACAIT D'ENVAHIR TOUT L'ORIENT. LORSQU'UN HOMME MARIE ETAIT MORT, ET QUE SA FEMME BIEN-AIMEE VOULAIT ETRE SAINTE, ELLE SE BRULAIT EN PUBLIC SUR LE CORPS DE SON MARI. C'ETAIT UNE FETE SOLENNELLE QUI S'APPELAIT LE BUCHER DU VEUVAGE. LA TRIBU DANS LAQUELLE IL Y AVAIT EU LE PLUS DE FEMMES BRULEES ETAIT LA PLUS CONSIDEREE. UN ARABE DE LA TRIBU DE SETOC ETANT MORT, SA VEUVE, NOMMEE ALMONA, QUI ETAIT FORT DEVOTE, FIT SAVOIR LE JOUR ET L'HEURE OU ELLE SE JETTERAIT DANS LE FEU AU SON DES TAMBOURS ET DES TROMPETTES. ZADIG REMONTRA A SETOC COMBIEN CETTE HORRIBLE COUTUME ETAIT CONTRAIRE AU BIEN DU GENRE HUMAIN ; QU'ON LAISSAIT BRULER TOUS LES JOURS DE JEUNES VEUVES QUI POUVAIENT DONNER DES ENFANTS A L'ETAT, OU DU MOINS ELEVER LES LEURS ; ET IL LE FIT CONVENIR QU'IL FALLAIT, SI ON POUVAIT, ABOLIR UN USAGE SI BARBARE. SETOC REPONDIT : "IL Y A PLUS DE MILLE ANS QUE LES FEMMES SONT EN POSSESSION DE SE BRULER. QUI DE NOUS OSERA CHANGER UNE LOI QUE LE TEMPS A CONSACREE ? Y A-T-IL RIEN DE PLUS RESPECTABLE QU'UN ANCIEN ABUS ? - LA RAISON EST PLUS ANCIENNE, REPRIT ZADIG. PARLEZ AUX CHEFS DES TRIBUS, ET JE VAIS TROUVER LA JEUNE VEUVE. " IL SE FIT PRESENTER A ELLE ; ET APRES S'ETRE INSINUE DANS SON ESPRIT PAR DES LOUANGES SUR SA BEAUTE, APRES LUI AVOIR DIT COMBIEN C'ETAIT DOMMAGE DE METTRE AU FEU TANT DE CHARMES, IL LA LOUA ENCORE SUR SA CONSTANCE ET SUR SON COURAGE. "VOUS AIMIEZ DONC PRODIGIEUSEMENT VOTRE MARI ? LUI DIT-IL. - MOI ? POINT DU TOUT, REPONDIT LA DAME ARABE. C'ETAIT UN BRUTAL, UN JALOUX, UN HOMME INSUPPORTABLE ; MAIS JE SUIS FERMEMENT RESOLUE DE ME JETER SUR SON BUCHER. - IL FAUT, DIT ZADIG, QU'IL Y AIT APPAREMMENT UN PLAISIR BIEN DELICIEUX A ETRE BRULEE VIVE. - AH ! CELA FAIT FREMIR LA NATURE, DIT LA DAME ; MAIS IL FAUT EN PASSER PAR LA. JE SUIS DEVOTE ; JE SERAIS PERDUE DE REPUTATION, ET TOUT LE MONDE SE MOQUERAIT DE MOI SI JE NE ME BRULAIS PAS. " ZADIG, L'AYANT FAIT CONVENIR QU'ELLE SE BRULAIT POUR LES AUTRES ET PAR VANITE, LUI PARLA LONGTEMPS D'UNE MANIERE A LUI FAIRE AIMER UN PEU LA VIE, ET PARVINT MEME A LUI INSPIRER QUELQUE BIENVEILLANCE POUR CELUI QUI LUI PARLAIT. "QUE FERIEZ-VOUS ENFIN, LUI DIT-IL, SI LA VANITE DE VOUS BRULER NE VOUS TENAIT PAS ? - HELAS ! DIT LA DAME, JE CROIS QUE JE VOUS PRIERAIS DE M'EPOUSER. " ZADIG ETAIT TROP REMPLI DE L'IDEE D'ASTARTE POUR NE PAS ELUDER CETTE DECLARATION ; MAIS IL ALLA DANS L'INSTANT TROUVER LES CHEFS DES TRIBUS, LEUR DIT CE QUI S'ETAIT PASSE, ET LEUR CONSEILLA DE FAIRE UNE LOI PAR LAQUELLE IL NE SERAIT PERMIS A UNE VEUVE DE SE BRULER QU'APRES AVOIR ENTRETENU UN JEUNE HOMME TETE A TETE PENDANT UNE HEURE ENTIERE. DEPUIS CE TEMPS, AUCUNE DAME NE SE BRULA EN ARABIE. ON EUT AU SEUL ZADIG L'OBLIGATION D'AVOIR DETRUIT EN UN JOUR UNE COUTUME SI CRUELLE, QUI DURAIT DEPUIS TANT DE SIECLES. IL ETAIT DONC LE BIENFAITEUR DE L'ARABIE. CHAPITRE 12 - LE SOUPER SETOC, QUI NE POUVAIT SE SEPARER DE CET HOMME EN QUI HABITAIT LA SAGESSE, LE MENA A LA GRANDE FOIRE DE BASSORA, OU DEVAIENT SE RENDRE LES PLUS GRANDS NEGOCIANTS DE LA TERRE HABITABLE. CE FUT POUR ZADIG UNE CONSOLATION SENSIBLE DE VOIR TANT D'HOMMES DE DIVERSES CONTREES REUNIS DANS LA MEME PLACE. IL LUI PARAISSAIT QUE L'UNIVERS ETAIT UNE GRANDE FAMILLE QUI SE RASSEMBLAIT A BASSORA. IL SE TROUVA A TABLE, DES LE SECOND JOUR, AVEC UN EGYPTIEN, UN INDIEN GANGARIDE, UN HABITANT DU CATHAY, UN GREC, UN CELTE, ET PLUSIEURS AUTRES ETRANGERS QUI, DANS LEURS FREQUENTS VOYAGES VERS LE GOLFE ARABIQUE, AVAIENT APPRIS ASSEZ D'ARABE POUR SE FAIRE ENTENDRE. L'EGYPTIEN PARAISSAIT FORT EN COLERE. "QUEL ABOMINABLE PAYS QUE BASSORA ! DISAIT-IL ; ON M'Y REFUSE MILLE ONCES D'OR SUR LE MEILLEUR EFFET DU MONDE. - COMMENT DONC, DIT SETOC ; SUR QUEL EFFET VOUS A-T-ON REFUSE CETTE SOMME ? - SUR LE CORPS DE MA TANTE, REPONDIT L'EGYPTIEN ; C'ETAIT LA PLUS BRAVE FEMME D'EGYPTE. ELLE M'ACCOMPAGNAIT TOUJOURS ; ELLE EST MORTE EN CHEMIN : J'EN AI FAIT UNE DES PLUS BELLES MOMIES QUE NOUS AYONS ; ET JE TROUVERAIS DANS MON PAYS TOUT CE QUE JE VOUDRAIS EN LA METTANT EN GAGE. IL EST BIEN ETRANGE QU'ON NE VEUILLE PAS SEULEMENT ME DONNER ICI MILLE ONCES D'OR SUR UN EFFET SI SOLIDE. " TOUT EN SE COURROUCANT, IL ETAIT PRET DE MANGER D'UNE EXCELLENTE POULE BOUILLIE, QUAND L'INDIEN, LE PRENANT PAR LA MAIN, S'ECRIA AVEC DOULEUR : "AH ! QU'ALLEZ-VOUS FAIRE ? - MANGER DE CETTE POULE, DIT L'HOMME A LA MOMIE. - GARDEZ-VOUS-EN BIEN, DIT LE GANGARIDE ; IL SE POURRAIT FAIRE QUE L'AME DE LA DEFUNTE FUT PASSEE DANS LE CORPS DE CETTE POULE, ET VOUS NE VOUDRIEZ PAS VOUS EXPOSER A MANGER VOTRE TANTE. FAIRE CUIRE DES POULES, C'EST OUTRAGER MANIFESTEMENT LA NATURE. - QUE VOULEZ-VOUS DIRE AVEC VOTRE NATURE ET VOS POULES ? REPRIT LE COLERIQUE EGYPTIEN ; NOUS ADORONS UN BOEUF, ET NOUS EN MANGEONS BIEN. - VOUS ADOREZ UN BOEUF ! EST-IL POSSIBLE ? DIT L'HOMME DU GANGE. - IL N'Y A RIEN DE SI POSSIBLE, REPARTIT L'AUTRE ; IL Y A CENT TRENTE-CINQ MILLE ANS QUE NOUS EN USONS AINSI, ET PERSONNE PARMI NOUS N'Y TROUVE A REDIRE. - AH ! CENT TRENTE-CINQ MILLE ANS ! DIT L'INDIEN, CE COMPTE EST UN PEU EXAGERE ; IL N'Y EN A QUE QUATRE-VINGT MILLE QUE L'INDE EST PEUPLEE, ET ASSUREMENT NOUS SOMMES VOS ANCIENS ; ET BRAMA NOUS AVAIT DEFENDU DE MANGER DES BOEUFS AVANT QUE VOUS VOUS FUSSIEZ AVISES DE LES METTRE SUR LES AUTELS ET A LA BROCHE. - VOILA UN PLAISANT ANIMAL QUE VOTRE BRAMA, POUR LE COMPARER A APIS ! DIT L'EGYPTIEN ; QU'A DONC FAIT VOTRE BRAMA DE SI BEAU ?" LE BRAMIN REPONDIT : "C'EST LUI QUI A APPRIS AUX HOMMES A LIRE ET A ECRIRE, ET A QUI TOUTE LA TERRE DOIT LE JEU DES ECHECS. - VOUS VOUS TROMPEZ, DIT UN CHALDEEN QUI ETAIT AUPRES DE LUI ; C'EST LE POISSON OANNES A QUI ON DOIT DE SI GRANDS BIENFAITS, ET IL EST JUSTE DE NE RENDRE QU'A LUI SES HOMMAGES. TOUT LE MONDE VOUS DIRA QUE C'ETAIT UN ETRE DIVIN, QU'IL AVAIT LA QUEUE DOREE, AVEC UNE BELLE TETE D'HOMME, ET QU'IL SORTAIT DE L'EAU POUR VENIR PRECHER A TERRE TROIS HEURES PAR JOUR. IL EUT PLUSIEURS ENFANTS QUI FURENT TOUS ROIS, COMME CHACUN SAIT. J'AI SON PORTRAIT CHEZ MOI, QUE JE REVERE COMME JE LE DOIS. ON PEUT MANGER DU BOEUF TANT QU'ON VEUT ; MAIS C'EST ASSUREMENT UNE TRES-GRANDE IMPIETE DE FAIRE CUIRE DU POISSON ; D'AILLEURS VOUS ETES TOUS DEUX D'UNE ORIGINE TROP PEU NOBLE ET TROP RECENTE POUR ME RIEN DISPUTER. LA NATION EGYPTIENNE NE COMPTE QUE CENT TRENTE-CINQ MILLE ANS, ET LES INDIENS NE SE VANTENT QUE DE QUATRE-VINGT MILLE, TANDIS QUE NOUS AVONS DES ALMANACHS DE QUATRE MILLE SIECLES. CROYEZ-MOI, RENONCEZ A VOS FOLIES, ET JE VOUS DONNERAI A CHACUN UN BEAU PORTRAIT D'OANNES. " L'HOMME DE CAMBALU, PRENANT LA PAROLE, DIT : "JE RESPECTE FORT LES EGYPTIENS, LES CHALDEENS, LES GRECS, LES CELTES, BRAMA, LE BOEUF APIS, LE BEAU POISSON OANNES ; MAIS PEUT-ETRE QUE LE LI OU LE TIEN, COMME ON VOUDRA L'APPELER, VAUT BIEN LES BOEUFS ET LES POISSONS. JE NE DIRAI RIEN DE MON PAYS ; IL EST AUSSI GRAND QUE LA TERRE D'EGYPTE, LA CHALDEE, ET LES INDES ENSEMBLE. JE NE DISPUTE PAS D'ANTIQUITE, PARCE QU'IL SUFFIT D'ETRE HEUREUX, ET QUE C'EST FORT PEU DE CHOSE D'ETRE ANCIEN ; MAIS, S'IL FALLAIT PARLER D'ALMANACHS, JE DIRAIS QUE TOUTE L'ASIE PREND LES NOTRES, ET QUE NOUS EN AVIONS DE FORT BONS AVANT QU'ON SUT L'ARITHMETIQUE EN CHALDEE. - VOUS ETES DE GRANDS IGNORANTS TOUS TANT QUE VOUS ETES ! S'ECRIA LE GREC : EST-CE QUE VOUS NE SAVEZ PAS QUE LE CHAOS EST LE PERE DE TOUT, ET QUE LA FORME ET LA MATIERE ONT MIS LE MONDE DANS L'ETAT OU IL EST ?" CE GREC PARLA LONGTEMPS ; MAIS IL FUT ENFIN INTERROMPU PAR LE CELTE, QUI, AYANT BEAUCOUP BU PENDANT QU'ON DISPUTAIT, SE CRUT ALORS PLUS SAVANT QUE TOUS LES AUTRES, ET DIT EN JURANT QU'IL N'Y AVAIT QUE TEUTATH ET LE GUI DE CHENE QUI VALUSSENT LA PEINE QU'ON EN PARLAT ; QUE, POUR LUI, IL AVAIT TOUJOURS DU GUI DANS SA POCHE ; QUE LES SCYTHES, SES ANCETRES, ETAIENT LES SEULES GENS DE BIEN QUI EUSSENT JAMAIS ETE AU MONDE ; QU'ILS AVAIENT, A LA VERITE, QUELQUEFOIS MANGE DES HOMMES, MAIS QUE CELA N'EMPECHAIT PAS QU'ON NE DUT AVOIR BEAUCOUP DE RESPECT POUR SA NATION ; ET QU'ENFIN, SI QUELQU'UN PARLAIT MAL DE TEUTATH, IL LUI APPRENDRAIT A VIVRE. LA QUERELLE S'ECHAUFFA POUR LORS, ET SETOC VIT LE MOMENT OU LA TABLE ALLAIT ETRE ENSANGLANTEE. ZADIG, QUI AVAIT GARDE LE SILENCE PENDANT TOUTE LA DISPUTE, SE LEVA ENFIN : IL S'ADRESSA D'ABORD AU CELTE, COMME AU PLUS FURIEUX ; IL LUI DIT QU'IL AVAIT RAISON, ET LUI DEMANDA DU GUI ; IL LOUA LE GREC SUR SON ELOQUENCE, ET ADOUCIT TOUS LES ESPRITS ECHAUFFES. IL NE DIT QUE TRES-PEU DE CHOSE A L'HOMME DU CATHAY, PARCE QU'IL AVAIT ETE LE PLUS RAISONNABLE DE TOUS. ENSUITE IL LEUR DIT : "MES AMIS, VOUS ALLIEZ VOUS QUERELLER POUR RIEN, CAR VOUS ETES TOUS DU MEME AVIS. " A CE MOT, ILS SE RECRIERENT TOUS. " N'EST-IL PAS VRAI, DIT-IL AU CELTE, QUE VOUS N'ADOREZ PAS CE GUI, MAIS CELUI QUI A FAIT LE GUI ET LE CHENE ? - ASSUREMENT, REPONDIT LE CELTE. - ET VOUS, MONSIEUR L'EGYPTIEN, VOUS REVEREZ APPAREMMENT DANS UN CERTAIN BOEUF CELUI QUI VOUS A DONNE LES BOEUFS ? - OUI, DIT L'EGYPTIEN. - LE POISSON OANNES, CONTINUA-T-IL, DOIT CEDER A CELUI QUI A FAIT LA MER ET LES POISSONS. - D'ACCORD, DIT LE CHALDEEN. - L'INDIEN, AJOUTA-T-IL, ET LE CATHAYEN, RECONNAISSENT COMME VOUS UN PREMIER PRINCIPE ; JE N'AI PAS TROP BIEN COMPRIS LES CHOSES ADMIRABLES QUE LE GREC A DITES, MAIS JE SUIS SUR QU'IL ADMET AUSSI UN ETRE SUPERIEUR, DE QUI LA FORME ET LA MATIERE DEPENDENT. " LE GREC, QU'ON ADMIRAIT, DIT QUE ZADIG AVAIT TRES-BIEN PRIS SA PENSEE. "VOUS ETES DONC TOUS DE MEME AVIS, REPLIQUA ZADIG, ET IL N'Y A PAS LA DE QUOI SE QUERELLER. " TOUT LE MONDE L'EMBRASSA. SETOC, APRES AVOIR VENDU FORT CHER SES DENREES, RECONDUISIT SON AMI ZADIG DANS SA TRIBU. ZADIG APPRIT EN ARRIVANT QU'ON LUI AVAIT FAIT SON PROCES EN SON ABSENCE, ET QU'IL ALLAIT ETRE BRULE A PETIT FEU. CHAPITRE 13 - LE RENDEZ-VOUS PENDANT SON VOYAGE A BASSORA, LES PRETRES DES ETOILES AVAIENT RESOLU DE LE PUNIR. LES PIERRERIES ET LES ORNEMENTS DES JEUNES VEUVES QU'ILS ENVOYAIENT AU BUCHER LEUR APPARTENAIENT DE DROIT ; C'ETAIT BIEN LE MOINS QU'ILS FISSENT BRULER ZADIG POUR LE MAUVAIS TOUR QU'IL LEUR AVAIT JOUE. ILS ACCUSERENT DONC ZADIG D'AVOIR DES SENTIMENTS ERRONES SUR L'ARMEE CELESTE ; ILS DEPOSERENT CONTRE LUI, ET JURERENT QU'ILS LUI AVAIENT ENTENDU DIRE QUE LES ETOILES NE SE COUCHAIENT PAS DANS LA MER. CE BLASPHEME EFFROYABLE FIT FREMIR LES JUGES ; ILS FURENT PRETS DE DECHIRER LEURS VETEMENTS, QUAND ILS OUIRENT CES PAROLES IMPIES, ET ILS L'AURAIENT FAIT, SANS DOUTE, SI ZADIG AVAIT EU DE QUOI LES PAYER ; MAIS, DANS L'EXCES DE LEUR DOULEUR, ILS SE CONTENTERENT DE LE CONDAMNER A ETRE BRULE A PETIT FEU. SETOC, DESESPERE, EMPLOYA EN VAIN SON CREDIT POUR SAUVER SON AMI ; IL FUT BIENTOT OBLIGE DE SE TAIRE. LA JEUNE VEUVE ALMONA, QUI AVAIT PRIS BEAUCOUP DE GOUT A LA VIE, ET QUI EN AVAIT OBLIGATION A ZADIG, RESOLUT DE LE TIRER DU BUCHER, DONT IL LUI AVAIT FAIT CONNAITRE L'ABUS. ELLE ROULA SON DESSEIN DANS SA TETE, SANS EN PARLER A PERSONNE. ZADIG DEVAIT ETRE EXECUTE LE LENDEMAIN ; ELLE N'AVAIT QUE LA NUIT POUR LE SAUVER : VOICI COMME ELLE S'Y PRIT EN FEMME CHARITABLE ET PRUDENTE. ELLE SE PARFUMA ; ELLE RELEVA SA BEAUTE PAR L'AJUSTEMENT LE PLUS RICHE ET LE PLUS GALANT, ET ALLA DEMANDER UNE AUDIENCE SECRETE AU CHEF DES PRETRES DES ETOILES. QUAND ELLE FUT DEVANT CE VIEILLARD VENERABLE, ELLE LUI PARLA EN CES TERMES : "FILS AINE DE LA GRANDE OURSE, FRERE DU TAUREAU, COUSIN DU GRAND CHIEN (C'ETAIENT LES TITRES DE CE PONTIFE), JE VIENS VOUS CONFIER MES SCRUPULES. J'AI BIEN PEUR D'AVOIR COMMIS UN PECHE ENORME, EN NE ME BRULANT PAS DANS LE BUCHER DE MON CHER MARI. EN EFFET QU'AVAIS-JE A CONSERVER ? UNE CHAIR PERISSABLE, ET QUI EST DEJA TOUTE FLETRIE. " EN DISANT CES PAROLES, ELLE TIRA DE SES LONGUES MANCHES DE SOIE SES BRAS NUS, D'UNE FORME ADMIRABLE ET D'UNE BLANCHEUR EBLOUISSANTE. "VOUS VOYEZ, DIT-ELLE, LE PEU QUE CELA VAUT. " LE PONTIFE TROUVA DANS SON COEUR QUE CELA VALAIT BEAUCOUP. SES YEUX LE DIRENT, ET SA BOUCHE LE CONFIRMA : IL JURA QU'IL N'AVAIT VU DE SA VIE DE SI BEAUX BRAS. "HELAS ! LUI DIT LA VEUVE, LES BRAS PEUVENT ETRE UN PEU MOINS MAL QUE LE RESTE ; MAIS VOUS M'AVOUEREZ QUE LA GORGE N'ETAIT PAS DIGNE DE MES ATTENTIONS. " ALORS ELLE LAISSA VOIR LE SEIN LE PLUS CHARMANT QUE LA NATURE EUT JAMAIS FORME. UN BOUTON DE ROSE SUR UNE POMME D'IVOIRE N'EUT PARU AUPRES QUE DE LA GARANCE SUR DU BUIS, ET LES AGNEAUX SORTANT DU LAVOIR AURAIENT SEMBLE D'UN JAUNE BRUN. CETTE GORGE, SES GRANDS YEUX NOIRS QUI LANGUISSAIENT EN BRILLANT DOUCEMENT D'UN FEU TENDRE, SES JOUES ANIMEES DE LA PLUS BELLE POURPRE MELEE AU BLANC DE LAIT LE PLUS PUR ; SON NEZ, QUI N'ETAIT PAS COMME LA TOUR DU MONT LIBAN ; SES LEVRES, QUI ETAIENT COMME DEUX BORDURES DE CORAIL RENFERMANT LES PLUS BELLES PERLES DE LA MER D'ARABIE, TOUT CELA ENSEMBLE FIT CROIRE AU VIEILLARD QU'IL AVAIT VINGT ANS. IL FIT EN BEGAYANT UNE DECLARATION TENDRE. ALMONA, LE VOYANT ENFLAMME, LUI DEMANDA LA GRACE DE ZADIG. "HELAS ! DIT-IL, MA BELLE DAME, QUAND JE VOUS ACCORDERAIS SA GRACE, MON INDULGENCE NE SERVIRAIT DE RIEN ; IL FAUT QU'ELLE SOIT SIGNEE DE TROIS AUTRES DE MES CONFRERES. - SIGNEZ TOUJOURS, DIT ALMONA. - VOLONTIERS, DIT LE PRETRE, A CONDITION QUE VOS FAVEURS SERONT LE PRIX DE MA FACILITE. - VOUS ME FAITES TROP D'HONNEUR, DIT ALMONA ; AYEZ SEULEMENT POUR AGREABLE DE VENIR DANS MA CHAMBRE APRES QUE LE SOLEIL SERA COUCHE, ET DES QUE LA BRILLANTE ETOILE SHEAT SERA SUR L'HORIZON, VOUS ME TROUVEREZ SUR UN SOFA COULEUR DE ROSE, ET VOUS EN USEREZ COMME VOUS POURREZ AVEC VOTRE SERVANTE. " ELLE SORTIT ALORS, EMPORTANT AVEC ELLE LA SIGNATURE, ET LAISSA LE VIEILLARD PLEIN D'AMOUR ET DE DEFIANCE DE SES FORCES. IL EMPLOYA LE RESTE DU JOUR A SE BAIGNER ; IL BUT UNE LIQUEUR COMPOSEE DE LA CANNELLE DE CEYLAN, ET DES PRECIEUSES EPICES DE TIDOR ET DE TERNATE, ET ATTENDIT AVEC IMPATIENCE QUE L'ETOILE SHEAT VINT A PARAITRE. CEPENDANT LA BELLE ALMONA ALLA TROUVER LE SECOND PONTIFE. CELUI-CI L'ASSURA QUE LE SOLEIL, LA LUNE, ET TOUS LES FEUX DU FIRMAMENT, N'ETAIENT QUE DES FEUX FOLLETS EN COMPARAISON DE SES CHARMES. ELLE LUI DEMANDA LA MEME GRACE, ET ON LUI PROPOSA D'EN DONNER LE PRIX. ELLE SE LAISSA VAINCRE, ET DONNA RENDEZ-VOUS AU SECOND PONTIFE AU LEVER DE L'ETOILE ALGENIB. DE LA ELLE PASSA CHEZ LE TROISIEME ET CHEZ LE QUATRIEME PRETRE, PRENANT TOUJOURS UNE SIGNATURE, ET DONNANT UN RENDEZ-VOUS D'ETOILE EN ETOILE. ALORS ELLE FIT AVERTIR LES JUGES DE VENIR CHEZ ELLE POUR UNE AFFAIRE IMPORTANTE. ILS S'Y RENDIRENT : ELLE LEUR MONTRA LES QUATRE NOMS, ET LEUR DIT A QUEL PRIX LES PRETRES AVAIENT VENDU LA GRACE DE ZADIG. CHACUN D'EUX ARRIVA A L'HEURE PRESCRITE ; CHACUN FUT BIEN ETONNE D'Y TROUVER SES CONFRERES, ET PLUS ENCORE D'Y TROUVER LES JUGES, DEVANT QUI LEUR HONTE FUT MANIFESTEE. ZADIG FUT SAUVE. SETOC FUT SI CHARME DE L'HABILETE D'ALMONA, QU'IL EN FIT SA FEMME. CHAPITRE 14 - LA DANSE SETOC DEVAIT ALLER, POUR LES AFFAIRES DE SON COMMERCE, DANS L'ILE DE SERENDIB ; MAIS LE PREMIER MOIS DE SON MARIAGE, QUI EST, COMME ON SAIT, LA LUNE DU MIEL, NE LUI PERMETTAIT NI DE QUITTER SA FEMME, NI DE CROIRE QU'IL PUT JAMAIS LA QUITTER : IL PRIA SON AMI ZADIG DE FAIRE POUR LUI LE VOYAGE. " HELAS ! DISAIT ZADIG, FAUT-IL QUE JE METTE ENCORE UN PLUS VASTE ESPACE ENTRE LA BELLE ASTARTE ET MOI ? MAIS IL FAUT SERVIR MES BIENFAITEURS. " IL DIT, IL PLEURA, ET IL PARTIT. IL NE FUT PAS LONGTEMPS DANS L'ILE DE SERENDIB SANS Y ETRE REGARDE COMME UN HOMME EXTRAORDINAIRE. IL DEVINT L'ARBITRE DE TOUS LES DIFFERENTS ENTRE LES NEGOCIANTS, L'AMI DES SAGES, LE CONSEIL DU PETIT NOMBRE DE GENS QUI PRENNENT CONSEIL. LE ROI VOULUT LE VOIR ET L'ENTENDRE. IL CONNUT BIENTOT TOUT CE QUE VALAIT ZADIG ; IL EUT CONFIANCE EN SA SAGESSE, ET EN FIT SON AMI. LA FAMILIARITE ET L'ESTIME DU ROI FIT TREMBLER ZADIG. IL ETAIT, NUIT ET JOUR, PENETRE DU MALHEUR QUE LUI AVAIENT ATTIRE LES BONTES DE MOABDAR. " JE PLAIS AU ROI, DISAIT-IL ; NE SERAI-JE PAS PERDU ?" CEPENDANT IL NE POUVAIT SE DEROBER AUX CARESSES DE SA MAJESTE : CAR IL FAUT AVOUER QUE NABUSSAN, ROI DE SERENDIB, FILS DE NUSSANAB, FILS DE NABASSUN, FILS DE SANBUSNA, ETAIT UN DES MEILLEURS PRINCES DE L'ASIE ; ET QUAND ON LUI PARLAIT IL ETAIT DIFFICILE DE NE LE PAS AIMER. CE BON PRINCE ETAIT TOUJOURS LOUE, TROMPE, ET VOLE : C'ETAIT A QUI PILLERAIT SES TRESORS. LE RECEVEUR GENERAL DE L'ILE DE SERENDIB DONNAIT TOUJOURS CET EXEMPLE, FIDELEMENT SUIVI PAR LES AUTRES. LE ROI LE SAVAIT ; IL AVAIT CHANGE DE TRESORIER PLUSIEURS FOIS ; MAIS IL N'AVAIT PU CHANGER LA MODE ETABLIE DE PARTAGER LES REVENUS DU ROI EN DEUX MOITIES INEGALES, DONT LA PLUS PETITE REVENAIT TOUJOURS A SA MAJESTE, ET LA PLUS GROSSE AUX ADMINISTRATEURS. LE ROI NABUSSAN CONFIA SA PEINE AU SAGE ZADIG. "VOUS QUI SAVEZ TANT DE BELLES CHOSES, LUI DIT-IL, NE SAURIEZ-VOUS PAS LE MOYEN DE ME FAIRE TROUVER UN TRESORIER QUI NE ME VOLE POINT ? - ASSUREMENT, REPONDIT ZADIG, JE SAIS UNE FACON INFAILLIBLE DE VOUS DONNER UN HOMME QUI AIT LES MAINS NETTES. " LE ROI, CHARME, LUI DEMANDA, EN L'EMBRASSANT, COMMENT IL FALLAIT S'Y PRENDRE. " IL N'Y A, DIT ZADIG, QU'A FAIRE DANSER TOUS CEUX QUI SE PRESENTERONT POUR LA DIGNITE DE TRESORIER, ET CELUI QUI DANSERA AVEC LE PLUS DE LEGERETE SERA INFAILLIBLEMENT LE PLUS HONNETE HOMME. - VOUS VOUS MOQUEZ, DIT LE ROI ; VOILA UNE PLAISANTE FACON DE CHOISIR UN RECEVEUR DE MES FINANCES ! QUOI, VOUS PRETENDEZ QUE CELUI QUI FERA LE MIEUX UN ENTRECHAT SERA LE FINANCIER LE PLUS INTEGRE ET LE PLUS HABILE ! - JE NE VOUS REPONDS PAS QU'IL SERA LE PLUS HABILE, REPARTIT ZADIG ; MAIS JE VOUS ASSURE QUE CE SERA INDUBITABLEMENT LE PLUS HONNETE HOMME. " ZADIG PARLAIT AVEC TANT DE CONFIANCE, QUE LE ROI CRUT QU'IL AVAIT QUELQUE SECRET SURNATUREL POUR CONNAITRE LES FINANCIERS. "JE N'AIME PAS LE SURNATUREL, DIT ZADIG ; LES GENS ET LES LIVRES A PRODIGES M'ONT TOUJOURS DEPLU : SI VOTRE MAJESTE VEUT ME LAISSER FAIRE L'EPREUVE QUE JE LUI PROPOSE, ELLE SERA BIEN CONVAINCUE QUE MON SECRET EST LA CHOSE LA PLUS SIMPLE ET LA PLUS AISEE. " NABUSSAN, ROI DE SERENDIB, FUT BIEN PLUS ETONNE D'ENTENDRE QUE CE SECRET ETAIT SIMPLE, QUE SI ON LE LUI AVAIT DONNE POUR UN MIRACLE : "OR BIEN, DIT-IL, FAITES COMME VOUS L'ENTENDREZ. - LAISSEZ-MOI FAIRE, DIT ZADIG, VOUS GAGNEREZ A CETTE EPREUVE PLUS QUE VOUS NE PENSEZ. " LE JOUR MEME IL FIT PUBLIER, AU NOM DU ROI, QUE TOUS CEUX QUI PRETENDAIENT A L'EMPLOI DE HAUT RECEVEUR DES DENIERS DE SA GRACIEUSE MAJESTE NABUSSAN, FILS DE NUSSANAB, EUSSENT A SE RENDRE, EN HABITS DE SOIE LEGERE, LE PREMIER DE LA LUNE DU CROCODILE, DANS L'ANTICHAMBRE DU ROI. ILS S'Y RENDIRENT AU NOMBRE DE SOIXANTE ET QUATRE. ON AVAIT FAIT VENIR DES VIOLONS DANS UN SALON VOISIN ; TOUT ETAIT PREPARE POUR LE BAL ; MAIS LA PORTE DE CE SALON ETAIT FERMEE, ET IL FALLAIT, POUR Y ENTRER, PASSER PAR UNE PETITE GALERIE ASSEZ OBSCURE. UN HUISSIER VINT CHERCHER ET INTRODUIRE CHAQUE CANDIDAT, L'UN APRES L'AUTRE, PAR CE PASSAGE DANS LEQUEL ON LE LAISSAIT SEUL QUELQUES MINUTES. LE ROI, QUI AVAIT LE MOT, AVAIT ETALE TOUS SES TRESORS DANS CETTE GALERIE. LORSQUE TOUS LES PRETENDANTS FURENT ARRIVES DANS LE SALON, SA MAJESTE ORDONNA QU'ON LES FIT DANSER. JAMAIS ON NE DANSA PLUS PESAMMENT ET AVEC MOINS DE GRACE ; ILS AVAIENT TOUS LA TETE BAISSEE, LES REINS COURBES, LES MAINS COLLEES A LEURS COTES ? "QUELS FRIPONS !" DISAIT TOUT BAS ZADIG. UN SEUL D'ENTRE EUX FORMAIT DES PAS AVEC AGILITE, LA TETE HAUTE, LE REGARD ASSURE, LES BRAS ETENDUS, LE CORPS DROIT, LE JARRET FERME. "AH ! L'HONNETE HOMME ! LE BRAVE HOMME !" DISAIT ZADIG. LE ROI EMBRASSA CE BON DANSEUR, LE DECLARA TRESORIER, ET TOUS LES AUTRES FURENT PUNIS ET TAXES AVEC LA PLUS GRANDE JUSTICE DU MONDE : CAR CHACUN, DANS LE TEMPS QU'IL AVAIT ETE DANS LA GALERIE, AVAIT REMPLI SES POCHES, ET POUVAIT A PEINE MARCHER. LE ROI FUT FACHE POUR LA NATURE HUMAINE QUE DE CES SOIXANTE ET QUATRE DANSEURS IL Y EUT SOIXANTE ET TROIS FILOUS. LA GALERIE OBSCURE FUT APPELEE LE CORRIDOR DE LA TENTATION. ON AURAIT EN PERSE EMPALE CES SOIXANTE ET TROIS SEIGNEURS ; EN D'AUTRES PAYS ON EUT FAIT UNE CHAMBRE DE JUSTICE QUI EUT CONSOMME EN FRAIS LE TRIPLE DE L'ARGENT VOLE, ET QUI N'EUT RIEN REMIS DANS LES COFFRES DU SOUVERAIN ; DANS UN AUTRE ROYAUME, ILS SE SERAIENT PLEINEMENT JUSTIFIES, ET AURAIENT FAIT DISGRACIER CE DANSEUR SI LEGER : A SERENDIB, ILS NE FURENT CONDAMNES QU'A AUGMENTER LE TRESOR PUBLIC, CAR NABUSSAN ETAIT FORT INDULGENT. IL ETAIT AUSSI FORT RECONNAISSANT ; IL DONNA A ZADIG UNE SOMME D'ARGENT PLUS CONSIDERABLE QU'AUCUN TRESORIER N'EN AVAIT JAMAIS VOLE AU ROI SON MAITRE. ZADIG S'EN SERVIT POUR ENVOYER DES EXPRES A BABYLONE, QUI DEVAIENT L'INFORMER DE LA DESTINEE D'ASTARTE. SA VOIX TREMBLA EN DONNANT CET ORDRE, SON SANG REFLUA VERS SON COEUR, SES YEUX SE COUVRIRENT DE TENEBRES, SON AME FUT PRETE A L'ABANDONNER. LE COURRIER PARTIT, ZADIG LE VIT EMBARQUER ; IL RENTRA CHEZ LE ROI, NE VOYANT PERSONNE, CROYANT ETRE DANS SA CHAMBRE, ET PRONONCANT LE NOM D'AMOUR. "AH ! L'AMOUR, DIT LE ROI ; C'EST PRECISEMENT CE DONT IL S'AGIT ; VOUS AVEZ DEVINE CE QUI FAIT MA PEINE. QUE VOUS ETES UN GRAND HOMME ! J'ESPERE QUE VOUS M'APPRENDREZ A CONNAITRE UNE FEMME A TOUTE EPREUVE, COMME VOUS M'AVEZ FAIT TROUVER UN TRESORIER DESINTERESSE. " ZADIG, AYANT REPRIS SES SENS, LUI PROMIT DE LE SERVIR EN AMOUR COMME EN FINANCE, QUOIQUE LA CHOSE PARUT PLUS DIFFICILE ENCORE. CHAPITRE 15 - LES YEUX BLEUX "LE CORPS ET LE COEUR, DIT LE ROI A ZADIG ..." A CES MOTS LE BABYLONIEN NE PUT S'EMPECHER D'INTERROMPRE SA MAJESTE. "QUE JE VOUS SAIS BON GRE, DIT-IL, DE N'AVOIR POINT DIT L'ESPRIT ET LE COEUR ! CAR ON N'ENTEND QUE CES MOTS DANS LES CONVERSATIONS DE BABYLONE ; ON NE VOIT QUE DES LIVRES OU IL EST QUESTION DU COEUR ET DE L'ESPRIT, COMPOSES PAR DES GENS QUI N'ONT NI DE L'UN NI DE L'AUTRE ; MAIS, DE GRACE, SIRE, POURSUIVEZ. " NABUSSAN CONTINUA AINSI : "LE CORPS ET LE COEUR SONT CHEZ MOI DESTINES A AIMER ; LA PREMIERE DE CES DEUX PUISSANCES A TOUT LIEU D'ETRE SATISFAITE. J'AI ICI CENT FEMMES A MON SERVICE, TOUTES BELLES, COMPLAISANTES, PREVENANTES, VOLUPTUEUSES MEME, OU FEIGNANT DE L'ETRE AVEC MOI. MON COEUR N'EST PAS A BEAUCOUP PRES SI HEUREUX. JE N'AI QUE TROP EPROUVE QU'ON CARESSE BEAUCOUP LE ROI DE SERENDIB, ET QU'ON SE SOUCIE FORT PEU DE NABUSSAN. CE N'EST PAS QUE JE CROIE MES FEMMES INFIDELES ; MAIS JE VOUDRAIS TROUVER UNE AME QUI FUT A MOI ; JE DONNERAIS POUR UN PAREIL TRESOR LES CENT BEAUTES DONT JE POSSEDE LES CHARMES : VOYEZ SI, SUR CES CENT SULTANES, VOUS POUVEZ M'EN TROUVER UNE DONT JE SOIS SUR D'ETRE AIME. " ZADIG LUI REPONDIT COMME IL AVAIT FAIT SUR L'ARTICLE DES FINANCIERS : " SIRE, LAISSEZ-MOI FAIRE ; MAIS PERMETTEZ D'ABORD QUE JE DISPOSE DE CE QUE VOUS AVIEZ ETALE DANS LA GALERIE DE LA TENTATION ; JE VOUS EN RENDRAI BON COMPTE, ET VOUS N'Y PERDREZ RIEN. LE ROI LE LAISSA LE MAITRE ABSOLU. IL CHOISIT DANS SERENDIB TRENTE-TROIS PETITS BOSSUS DES PLUS VILAINS QU'IL PUT TROUVER, TRENTE-TROIS PAGES DES PLUS BEAUX, ET TRENTE-TROIS BONZES DES PLUS ELOQUENTS ET DES PLUS ROBUSTES. IL LEUR LAISSA A TOUS LA LIBERTE D'ENTRER DANS LES CELLULES DES SULTANES ; CHAQUE PETIT BOSSU EUT QUATRE MILLE PIECES D'OR A DONNER ; ET DES LE PREMIER JOUR TOUS LES BOSSUS FURENT HEUREUX. LES PAGES, QUI N'AVAIENT RIEN A DONNER QU'EUX-MEMES, NE TRIOMPHERENT QU'AU BOUT DE DEUX OU TROIS JOURS. LES BONZES EURENT UN PEU PLUS DE PEINE ; MAIS ENFIN TRENTE-TROIS DEVOTES SE RENDIRENT A EUX. LE ROI, PAR DES JALOUSIES QUI AVAIENT VUE SUR TOUTES LES CELLULES, VIT TOUTES CES EPREUVES, ET FUT EMERVEILLE. DE SES CENT FEMMES, QUATRE-VINGT-DIX-NEUF SUCCOMBERENT A SES YEUX. IL EN RESTAIT UNE TOUTE JEUNE, TOUTE NEUVE, DE QUI SA MAJESTE N'AVAIT JAMAIS APPROCHE. ON LUI DETACHA UN, DEUX, TROIS BOSSUS, QUI LUI OFFRIRENT JUSQU'A VINGT MILLE PIECES ; ELLE FUT INCORRUPTIBLE, ET NE PUT S'EMPECHER DE RIRE DE L'IDEE QU'AVAIENT CES BOSSUS DE CROIRE QUE DE L'ARGENT LES RENDRAIT MIEUX FAITS. ON LUI PRESENTA LES DEUX PLUS BEAUX PAGES ; ELLE DIT QU'ELLE TROUVAIT LE ROI ENCORE PLUS BEAU. ON LUI LACHA LE PLUS ELOQUENT DES BONZES, ET ENSUITE LE PLUS INTREPIDE ; ELLE TROUVA LE PREMIER UN BAVARD, ET NE DAIGNA PAS MEME SOUPCONNER LE MERITE DU SECOND. "LE COEUR FAIT TOUT, DISAIT-ELLE ; JE NE CEDERAI JAMAIS NI A L'OR D'UN BOSSU, NI AUX GRACES D'UN JEUNE HOMME, NI AUX SEDUCTIONS D'UN BONZE : J'AIMERAI UNIQUEMENT NABUSSAN, FILS DE NUSSANAB, ET J'ATTENDRAI QU'IL DAIGNE M'AIMER. " LE ROI FUT TRANSPORTE DE JOIE, D'ETONNEMENT, ET DE TENDRESSE. IL REPRIT TOUT L'ARGENT QUI AVAIT FAIT REUSSIR LES BOSSUS, ET EN FIT PRESENT A LA BELLE FALIDE ; C'ETAIT LE NOM DE CETTE JEUNE PERSONNE. IL LUI DONNA SON COEUR : ELLE LE MERITAIT BIEN. JAMAIS LA FLEUR DE LA JEUNESSE NE FUT SI BRILLANTE ; JAMAIS LES CHARMES DE LA BEAUTE NE FURENT SI ENCHANTEURS. LA VERITE DE L'HISTOIRE NE PERMET PAS DE TAIRE QU'ELLE FAISAIT MAL LA REVERENCE ; MAIS ELLE DANSAIT COMME LES FEES, CHANTAIT COMME LES SIRENES, ET PARLAIT COMME LES GRACES : ELLE ETAIT PLEINE DE TALENTS ET DE VERTUS. NABUSSAN, AIME, L'ADORA : MAIS ELLE AVAIT LES YEUX BLEUS, ET CE FUT LA SOURCE DES PLUS GRANDS MALHEURS. IL Y AVAIT UNE ANCIENNE LOI QUI DEFENDAIT AUX ROIS D'AIMER UNE DE CES FEMMES QUE LES GRECS ONT APPELEES DEPUIS ??????. LE CHEF DES BONZES AVAIT ETABLI CETTE LOI IL Y AVAIT PLUS DE CINQ MILLE ANS ; C'ETAIT POUR S'APPROPRIER LA MAITRESSE DU PREMIER ROI DE L'ILE DE SERENDIB QUE CE PREMIER BONZE AVAIT FAIT PASSER L'ANATHEME DES YEUX BLEUS EN CONSTITUTION FONDAMENTALE D'ETAT. TOUS LES ORDRES DE L'EMPIRE VINRENT FAIRE A NABUSSAN DES REMONTRANCES. ON DISAIT PUBLIQUEMENT QUE LES DERNIERS JOURS DU ROYAUME ETAIENT ARRIVES, QUE L'ABOMINATION ETAIT A SON COMBLE, QUE TOUTE LA NATURE ETAIT MENACEE D'UN EVENEMENT SINISTRE ; QU'EN UN MOT NABUSSAN, FILS DE NUSSANAB, AIMAIT DEUX GRANDS YEUX BLEUS. LES BOSSUS, LES FINANCIERS, LES BONZES, ET LES BRUNES, REMPLIRENT LE ROYAUME DE LEURS PLAINTES. LES PEUPLES SAUVAGES QUI HABITENT LE NORD DE SERENDIB PROFITERENT DE CE MECONTENTEMENT GENERAL. ILS FIRENT UNE IRRUPTION DANS LES ETATS DU BON NABUSSAN. IL DEMANDA DES SUBSIDES A SES SUJETS ; LES BONZES, QUI POSSEDAIENT LA MOITIE DES REVENUS DE L'ETAT, SE CONTENTERENT DE LEVER LES MAINS AU CIEL, ET REFUSERENT DE LES METTRE DANS LEURS COFFRES POUR AIDER LE ROI. ILS FIRENT DE BELLES PRIERES EN MUSIQUE, ET LAISSERENT L'ETAT EN PROIE AUX BARBARES. "O MON CHER ZADIG, ME TIRERAS-TU ENCORE DE CET HORRIBLE EMBARRAS ? S'ECRIA DOULOUREUSEMENT NABUSSAN. - TRES-VOLONTIERS, REPONDIT ZADIG ; VOUS AUREZ DE L'ARGENT DES BONZES TANT QUE VOUS EN VOUDREZ. LAISSEZ A L'ABANDON LES TERRES OU SONT SITUES LEURS CHATEAUX, ET DEFENDEZ SEULEMENT LES VOTRES. " NABUSSAN N'Y MANQUA PAS : LES BONZES VINRENT SE JETER AUX PIEDS DU ROI, ET IMPLORER SON ASSISTANCE. LE ROI LEUR REPONDIT PAR UNE BELLE MUSIQUE DONT LES PAROLES ETAIENT DES PRIERES AU CIEL POUR LA CONSERVATION DE LEURS TERRES. LES BONZES ENFIN DONNERENT DE L'ARGENT, ET LE ROI FINIT HEUREUSEMENT LA GUERRE. AINSI ZADIG, PAR SES CONSEILS SAGES ET HEUREUX, ET PAR LES PLUS GRANDS SERVICES, S'ETAIT ATTIRE L'IRRECONCILIABLE INIMITIE DES HOMMES LES PLUS PUISSANTS DE L'ETAT ; LES BONZES ET LES BRUNES JURERENT SA PERTE ; LES FINANCIERS ET LES BOSSUS NE L'EPARGNERENT PAS ; ON LE RENDIT SUSPECT AU BON NABUSSAN. LES SERVICES RENDUS RESTENT SOUVENT DANS L'ANTICHAMBRE, ET LES SOUPCONS ENTRENT DANS LE CABINET, SELON LA SENTENCE DE ZOROASTRE : C'ETAIT TOUS LES JOURS DE NOUVELLES ACCUSATIONS ; LA PREMIERE EST REPOUSSEE, LA SECONDE EFFLEURE, LA TROISIEME BLESSE, LA QUATRIEME TUE. ZADIG, INTIMIDE, QUI AVAIT BIEN FAIT LES AFFAIRES DE SON AMI SETOC, ET QUI LUI AVAIT FAIT TENIR SON ARGENT, NE SONGEA PLUS QU'A PARTIR DE L'ILE, ET RESOLUT D'ALLER LUI-MEME CHERCHER DES NOUVELLES D'ASTARTE. "CAR, DISAIT-IL, SI JE RESTE DANS SERENDIB, LES BONZES ME FERONT EMPALER ; MAIS OU ALLER ? JE SERAI ESCLAVE EN EGYPTE, BRULE SELON TOUTES LES APPARENCES EN ARABIE, ETRANGLE A BABYLONE. CEPENDANT IL FAUT SAVOIR CE QU'ASTARTE EST DEVENUE : PARTONS, ET VOYONS A QUOI ME RESERVE MA TRISTE DESTINEE. " CHAPITRE 16 - LE BRIGAND EN ARRIVANT AUX FRONTIERES QUI SEPARENT L'ARABIE PETREE DE LA SYRIE, COMME IL PASSAIT PRES D'UN CHATEAU ASSEZ FORT, DES ARABES ARMES EN SORTIRENT. IL SE VIT ENTOURE ; ON LUI CRIAIT : "TOUT CE QUE VOUS AVEZ NOUS APPARTIENT, ET VOTRE PERSONNE APPARTIENT A NOTRE MAITRE. " ZADIG, POUR REPONSE, TIRA SON EPEE ; SON VALET, QUI AVAIT DU COURAGE, EN FIT AUTANT. ILS RENVERSERENT MORTS LES PREMIERS ARABES QUI MIRENT LA MAIN SUR EUX ; LE NOMBRE REDOUBLA : ILS NE S'ETONNERENT POINT, ET RESOLURENT DE PERIR EN COMBATTANT. ON VOYAIT DEUX HOMMES SE DEFENDRE CONTRE UNE MULTITUDE ; UN TEL COMBAT NE POUVAIT DURER LONGTEMPS. LE MAITRE DU CHATEAU, NOMME ARBOGAD, AYANT VU D'UNE FENETRE LES PRODIGES DE VALEUR QUE FAISAIT ZADIG, CONCUT DE L'ESTIME POUR LUI. IL DESCENDIT EN HATE, ET VINT LUI-MEME ECARTER SES GENS, ET DELIVRER LES DEUX VOYAGEURS. "TOUT CE QUI PASSE SUR MES TERRES EST A MOI, DIT-IL, AUSSI BIEN QUE CE QUE JE TROUVE SUR LES TERRES DES AUTRES ; MAIS VOUS ME PARAISSEZ UN SI BRAVE HOMME QUE JE VOUS EXEMPTE DE LA LOI COMMUNE. >> IL LE FIT ENTRER DANS SON CHATEAU, ORDONNANT A SES GENS DE LE BIEN TRAITER ; ET, LE SOIR, ARBOGAD VOULUT SOUPER AVEC ZADIG. LE SEIGNEUR DU CHATEAU ETAIT UN DE CES ARABES QU'ON APPELLE VOLEURS ; MAIS IL FAISAIT QUELQUEFOIS DE BONNES ACTIONS PARMI UNE FOULE DE MAUVAISES ; IL VOLAIT AVEC UNE RAPACITE FURIEUSE, ET DONNAIT LIBERALEMENT : INTREPIDE DANS L'ACTION, ASSEZ DOUX DANS LE COMMERCE, DEBAUCHE A TABLE, GAI DANS LA DEBAUCHE, ET SURTOUT PLEIN DE FRANCHISE. ZADIG LUI PLUT BEAUCOUP ; SA CONVERSATION, QUI S'ANIMA, FIT DURER LE REPAS ; ENFIN ARBOGAD LUI DIT : "JE VOUS CONSEILLE DE VOUS ENROLER SOUS MOI, VOUS NE SAURIEZ MIEUX FAIRE ; CE METIER-CI N'EST PAS MAUVAIS ; VOUS POURREZ UN JOUR DEVENIR CE QUE JE SUIS. - PUIS-JE VOUS DEMANDER, DIT ZADIG, DEPUIS QUEL TEMPS VOUS EXERCEZ CETTE NOBLE PROFESSION ? - DES MA PLUS TENDRE JEUNESSE, REPRIT LE SEIGNEUR. J'ETAIS VALET D'UN ARABE ASSEZ HABILE ; MA SITUATION M'ETAIT INSUPPORTABLE. J'ETAIS AU DESESPOIR DE VOIR QUE, DANS TOUTE LA TERRE QUI APPARTIENT EGALEMENT AUX HOMMES, LA DESTINEE NE M'EUT PAS RESERVE MA PORTION. JE CONFIAI MES PEINES A UN VIEIL ARABE QUI ME DIT : "MON FILS, NE DESESPEREZ PAS ; IL Y AVAIT AUTREFOIS UN GRAIN DE SABLE QUI SE LAMENTAIT D'ETRE UN ATOME IGNORE DANS LES DESERTS ; AU BOUT DE QUELQUES ANNEES IL DEVINT DIAMANT, ET IL EST A PRESENT LE PLUS BEL ORNEMENT DE LA COURONNE DU ROI DES INDES. " CE DISCOURS ME FIT IMPRESSION ; J'ETAIS LE GRAIN DE SABLE, JE RESOLUS DE DEVENIR DIAMANT. JE COMMENCAI PAR VOLER DEUX CHEVAUX ; JE M'ASSOCIAI DES CAMARADES ; JE ME MIS EN ETAT DE VOLER DE PETITES CARAVANES : AINSI JE FIS CESSER PEU A PEU LA DISPROPORTION QUI ETAIT D'ABORD ENTRE LES HOMMES ET MOI. J'EUS MA PART AUX BIENS DE CE MONDE, ET JE FUS MEME DEDOMMAGE AVEC USURE : ON ME CONSIDERA BEAUCOUP : JE DEVINS SEIGNEUR BRIGAND ; J'ACQUIS CE CHATEAU PAR VOIE DE FAIT. LE SATRAPE DE SYRIE VOULUT M'EN DEPOSSEDER ; MAIS J'ETAIS DEJA TROP RICHE POUR AVOIR RIEN A CRAINDRE ; JE DONNAI DE L'ARGENT AU SATRAPE, MOYENNANT QUOI JE CONSERVAI CE CHATEAU, ET J'AGRANDIS MES DOMAINES ; IL ME NOMMA MEME TRESORIER DES TRIBUTS QUE L'ARABIE PETREE PAYAIT AU ROI DES ROIS. JE FIS MA CHARGE DE RECEVEUR, ET POINT DU TOUT CELLE DE PAYEUR. "LE GRAND DESTERHAM DE BABYLONE ENVOYA ICI, AU NOM DU ROI MOABDAR, UN PETIT SATRAPE, POUR ME FAIRE ETRANGLER. CET HOMME ARRIVA AVEC SON ORDRE : J'ETAIS INSTRUIT DE TOUT ; JE FIS ETRANGLER EN SA PRESENCE LES QUATRE PERSONNES QU'IL AVAIT AMENEES AVEC LUI POUR SERRER LE LACET ; APRES QUOI JE LUI DEMANDAI CE QUE POUVAIT LUI VALOIR LA COMMISSION DE M'ETRANGLER. IL ME REPONDIT QUE SES HONORAIRES POUVAIENT ALLER A TROIS CENTS PIECES D'OR. JE LUI FIS VOIR CLAIR QU'IL Y AURAIT PLUS A GAGNER AVEC MOI. JE LE FIS SOUS-BRIGAND ; IL EST AUJOURD'HUI UN DE MES MEILLEURS OFFICIERS, ET DES PLUS RICHES. SI VOUS M'EN CROYEZ, VOUS REUSSIREZ COMME LUI. JAMAIS LA SAISON DE VOLER N'A ETE MEILLEURE, DEPUIS QUE MOABDAR EST TUE, ET QUE TOUT EST EN CONFUSION DANS BABYLONE. - MOABDAR EST TUE ! DIT ZADIG ; ET QU'EST DEVENUE LA REINE ASTARTE ? - JE N'EN SAIS RIEN, REPRIT ARBOGAD ; TOUT CE QUE JE SAIS, C'EST QUE MOABDAR EST DEVENU FOU, QU'IL A ETE TUE, QUE BABYLONE EST UN GRAND COUPE-GORGE, QUE TOUT L'EMPIRE EST DESOLE, QU'IL Y A DE BEAUX COUPS A FAIRE ENCORE, ET QUE POUR MA PART J'EN AI FAIT D'ADMIRABLES. - MAIS LA REINE, DIT ZADIG ; DE GRACE, NE SAVEZ-VOUS RIEN DE LA DESTINEE DE LA REINE ? - ON M'A PARLE D'UN PRINCE D'HYRCANIE, REPRIT-IL ; ELLE EST PROBABLEMENT PARMI SES CONCUBINES, SI ELLE N'A PAS ETE TUEE DANS LE TUMULTE ; MAIS JE SUIS PLUS CURIEUX DE BUTIN QUE DE NOUVELLES. J'AI PRIS PLUSIEURS FEMMES DANS MES COURSES, JE N'EN GARDE AUCUNE ; JE LES VENDS CHER QUAND ELLES SONT BELLES, SANS M'INFORMER DE CE QU'ELLES SONT. ON N'ACHETE POINT LE RANG ; UNE REINE QUI SERAIT LAIDE NE TROUVERAIT PAS MARCHAND : PEUT-ETRE AI-JE VENDU LA REINE ASTARTE, PEUT-ETRE EST-ELLE MORTE ; MAIS PEU M'IMPORTE, ET JE PENSE QUE VOUS NE DEVEZ PAS VOUS EN SOUCIER PLUS QUE MOI. " EN PARLANT AINSI IL BUVAIT AVEC TANT DE COURAGE, IL CONFONDAIT TELLEMENT TOUTES LES IDEES, QUE ZADIG N'EN PUT TIRER AUCUN ECLAIRCISSEMENT. IL RESTAIT INTERDIT, ACCABLE, IMMOBILE. ARBOGAD BUVAIT TOUJOURS, FAISAIT DES CONTES, REPETAIT SANS CESSE QU'IL ETAIT LE PLUS HEUREUX DE TOUS LES HOMMES, EXHORTANT ZADIG A SE RENDRE AUSSI HEUREUX QUE LUI. ENFIN DOUCEMENT ASSOUPI PAR LES FUMEES DU VIN, IL ALLA DORMIR D'UN SOMMEIL TRANQUILLE. ZADIG PASSA LA NUIT DANS L'AGITATION LA PLUS VIOLENTE. "QUOI, DISAIT-IL, LE ROI EST DEVENU FOU ! IL EST TUE ! JE NE PUIS M'EMPECHER DE LE PLAINDRE. L'EMPIRE EST DECHIRE, ET CE BRIGAND EST HEUREUX : O FORTUNE ! O DESTINEE ! UN VOLEUR EST HEUREUX, ET CE QUE LA NATURE A FAIT DE PLUS AIMABLE A PERI PEUT-ETRE D'UNE MANIERE AFFREUSE, OU VIT DANS UN ETAT PIRE QUE LA MORT. O ASTARTE ! QU'ETES-VOUS DEVENUE ?" DES LE POINT DU JOUR IL INTERROGEA TOUS CEUX QU'IL RENCONTRAIT DANS LE CHATEAU ; MAIS TOUT LE MONDE ETAIT OCCUPE, PERSONNE NE LUI REPONDIT : ON AVAIT FAIT PENDANT LA NUIT DE NOUVELLES CONQUETES, ON PARTAGEAIT LES DEPOUILLES. TOUT CE QU'IL PUT OBTENIR DANS CETTE CONFUSION TUMULTUEUSE, CE FUT LA PERMISSION DE PARTIR. IL EN PROFITA SANS TARDER, PLUS ABIME QUE JAMAIS DANS SES REFLEXIONS DOULOUREUSES. ZADIG MARCHAIT INQUIET, AGITE, L'ESPRIT TOUT OCCUPE DE LA MALHEUREUSE ASTARTE, DU ROI DE BABYLONE, DE SON FIDELE CADOR, DE L'HEUREUX BRIGAND ARBOGAD, DE CETTE FEMME SI CAPRICIEUSE QUE DES BABYLONIENS AVAIENT ENLEVEE SUR LES CONFINS DE L'EGYPTE, ENFIN DE TOUS LES CONTRE-TEMPS ET DE TOUTES LES INFORTUNES QU'IL AVAIT EPROUVEES. CHAPITRE 17 - LE PECHEUR A QUELQUES LIEUES DU CHATEAU D'ARBOGAD, IL SE TROUVA SUR LE BORD D'UNE PETITE RIVIERE, TOUJOURS DEPLORANT SA DESTINEE, ET SE REGARDANT COMME LE MODELE DU MALHEUR. IL VIT UN PECHEUR COUCHE SUR LA RIVE, TENANT A PEINE D'UNE MAIN LANGUISSANTE SON FILET, QU'IL SEMBLAIT ABANDONNER, ET LEVANT LES YEUX VERS LE CIEL. "JE SUIS CERTAINEMENT LE PLUS MALHEUREUX DE TOUS LES HOMMES, DISAIT LE PECHEUR. J'AI ETE, DE L'AVEU DE TOUT LE MONDE, LE PLUS CELEBRE MARCHAND DE FROMAGES A LA CREME DANS BABYLONE, ET J'AI ETE RUINE. J'AVAIS LA PLUS JOLIE FEMME QU'HOMME PUT POSSEDER, ET J'EN AI ETE TRAHI. IL ME RESTAIT UNE CHETIVE MAISON, JE L'AI VUE PILLEE ET DETRUITE. REFUGIE DANS UNE CABANE, JE N'AI DE RESSOURCE QUE MA PECHE, ET JE NE PRENDS PAS UN POISSON. O MON FILET ! JE NE TE JETTERAI PLUS DANS L'EAU, C'EST A MOI DE M'Y JETER. " EN DISANT CES MOTS IL SE LEVE, ET S'AVANCE DANS L'ATTITUDE D'UN HOMME QUI ALLAIT SE PRECIPITER ET FINIR SA VIE. "EH QUOI ! SE DIT ZADIG A LUI-MEME, IL Y A DONC DES HOMMES AUSSI MALHEUREUX QUE MOI !" L'ARDEUR DE SAUVER LA VIE AU PECHEUR FUT AUSSI PROMPTE QUE CETTE REFLEXION. IL COURT A LUI, IL L'ARRETE, IL L'INTERROGE D'UN AIR ATTENDRI ET CONSOLANT. ON PRETEND QU'ON EN EST MOINS MALHEUREUX QUAND ON NE L'EST PAS SEUL ; MAIS, SELON ZOROASTRE, CE N'EST PAS PAR MALIGNITE, C'EST PAR BESOIN. ON SE SENT ALORS ENTRAINE VERS UN INFORTUNE COMME VERS SON SEMBLABLE. LA JOIE D'UN HOMME HEUREUX SERAIT UNE INSULTE ; MAIS DEUX MALHEUREUX SONT COMME DEUX ARBRISSEAUX FAIBLES QUI, S'APPUYANT L'UN SUR L'AUTRE, SE FORTIFIENT CONTRE L'ORAGE. "POURQUOI SUCCOMBEZ-VOUS A VOS MALHEURS ? DIT ZADIG AU PECHEUR. - C'EST, REPONDIT-IL, PARCE QUE JE N'Y VOIS PAS DE RESSOURCE. J'AI ETE LE PLUS CONSIDERE DU VILLAGE DE DERLBACK AUPRES DE BABYLONE, ET JE FAISAIS, AVEC L'AIDE DE MA FEMME, LES MEILLEURS FROMAGES A LA CREME DE L'EMPIRE. LA REINE ASTARTE ET LE FAMEUX MINISTRE ZADIG LES AIMAIENT PASSIONNEMENT. J'AVAIS FOURNI A LEURS MAISONS SIX CENTS FROMAGES. J'ALLAI UN JOUR A LA VILLE POUR ETRE PAYE ; J'APPRIS EN ARRIVANT DANS BABYLONE QUE LA REINE ET ZADIG AVAIENT DISPARU. JE COURUS CHEZ LE SEIGNEUR ZADIG, QUE JE N'AVAIS JAMAIS VU ; JE TROUVAI LES ARCHERS DU GRAND DESTERHAM, QUI, MUNIS D'UN PAPIER ROYAL, PILLAIENT SA MAISON LOYALEMENT ET AVEC ORDRE. JE VOLAI AUX CUISINES DE LA REINE ; QUELQUES UNS DES SEIGNEURS DE LA BOUCHE ME DIRENT QU'ELLE ETAIT MORTE ; D'AUTRES DIRENT QU'ELLE ETAIT EN PRISON ; D'AUTRES PRETENDIRENT QU'ELLE AVAIT PRIS LA FUITE ; MAIS TOUS M'ASSURERENT QU'ON NE ME PAIERAIT POINT MES FROMAGES. J'ALLAI AVEC MA FEMME CHEZ LE SEIGNEUR ORCAN, QUI ETAIT UNE DE MES PRATIQUES : NOUS LUI DEMANDAMES SA PROTECTION DANS NOTRE DISGRACE. IL L'ACCORDA A MA FEMME, ET ME LA REFUSA. ELLE ETAIT PLUS BLANCHE QUE CES FROMAGES A LA CREME QUI COMMENCERENT MON MALHEUR ; ET L'ECLAT DE LA POURPRE DE TYR N'ETAIT PAS PLUS BRILLANT QUE L'INCARNAT QUI ANIMAIT CETTE BLANCHEUR. C'EST CE QUI FIT QU'ORCAN LA RETINT, ET ME CHASSA DE SA MAISON. J'ECRIVIS A MA CHERE FEMME LA LETTRE D'UN DESESPERE. ELLE DIT AU PORTEUR : "AH, AH ! OUI ! JE SAIS QUEL EST L'HOMME QUI M'ECRIT, J'EN AI ENTENDU PARLER : ON DIT QU'IL FAIT DES FROMAGES A LA CREME EXCELLENTS ; QU'ON M'EN APPORTE, ET QU'ON LES LUI PAIE. " "DANS MON MALHEUR, JE VOULUS M'ADRESSER A LA JUSTICE. IL ME RESTAIT SIX ONCES D'OR : IL FALLUT EN DONNER DEUX ONCES A L'HOMME DE LOI QUE JE CONSULTAI, DEUX AU PROCUREUR QUI ENTREPRIT MON AFFAIRE, DEUX AU SECRETAIRE DU PREMIER JUGE. QUAND TOUT CELA FUT FAIT, MON PROCES N'ETAIT PAS ENCORE COMMENCE, ET J'AVAIS DEJA DEPENSE PLUS D'ARGENT QUE MES FROMAGES ET MA FEMME NE VALAIENT. JE RETOURNAI A MON VILLAGE DANS L'INTENTION DE VENDRE MA MAISON POUR AVOIR MA FEMME. "MA MAISON VALAIT BIEN SOIXANTE ONCES D'OR ; MAIS ON ME VOYAIT PAUVRE ET PRESSE DE VENDRE. LE PREMIER A QUI JE M'ADRESSAI M'EN OFFRIT TRENTE ONCES ; LE SECOND, VINGT ; ET LE TROISIEME, DIX. J'ETAIS PRET ENFIN DE CONCLURE, TANT J'ETAIS AVEUGLE, LORSQU'UN PRINCE D'HYRCANIE VINT A BABYLONE, ET RAVAGEA TOUT SUR SON PASSAGE. MA MAISON FUT D'ABORD SACCAGEE, ET ENSUITE BRULEE. "AYANT AINSI PERDU MON ARGENT, MA FEMME ET MA MAISON, JE ME SUIS RETIRE DANS CE PAYS OU VOUS ME VOYEZ ; J'AI TACHE DE SUBSISTER DU METIER DE PECHEUR. LES POISSONS SE MOQUENT DE MOI COMME LES HOMMES ; JE NE PRENDS RIEN, JE MEURS DE FAIM ; ET SANS VOUS, AUGUSTE CONSOLATEUR, J'ALLAIS MOURIR DANS LA RIVIERE. " LE PECHEUR NE FIT POINT CE RECIT TOUT DE SUITE ; CAR A TOUT MOMENT ZADIG, EMU ET TRANSPORTE, LUI DISAIT : "QUOI ! VOUS NE SAVEZ RIEN DE LA DESTINEE DE LA REINE ? - NON, SEIGNEUR, REPONDAIT LE PECHEUR ; MAIS JE SAIS QUE LA REINE ET ZADIG NE M'ONT POINT PAYE MES FROMAGES A LA CREME, QU'ON A PRIS MA FEMME, ET QUE JE SUIS AU DESESPOIR. - JE ME FLATTE, DIT ZADIG, QUE VOUS NE PERDREZ PAS TOUT VOTRE ARGENT. J'AI ENTENDU PARLER DE CE ZADIG ; IL EST HONNETE HOMME ; ET S'IL RETOURNE A BABYLONE, COMME IL L'ESPERE, IL VOUS DONNERA PLUS QU'IL NE VOUS DOIT ; MAIS POUR VOTRE FEMME, QUI N'EST PAS SI HONNETE, JE VOUS CONSEILLE DE NE PAS CHERCHER A LA REPRENDRE. CROYEZ-MOI, ALLEZ A BABYLONE ; J'Y SERAI AVANT VOUS, PARCE QUE JE SUIS A CHEVAL ET QUE VOUS ETES A PIED. ADRESSEZ-VOUS A L'ILLUSTRE CADOR ; DITES-LUI QUE VOUS AVEZ RENCONTRE SON AMI ; ATTENDEZ-MOI CHEZ LUI. ALLEZ ; PEUT-ETRE NE SEREZ-VOUS PAS TOUJOURS MALHEUREUX. O PUISSANT OROSMADE ! CONTINUA-T-IL, VOUS VOUS SERVEZ DE MOI POUR CONSOLER CET HOMME ; DE QUI VOUS SERVIREZ-VOUS POUR ME CONSOLER ?" EN PARLANT AINSI IL DONNAIT AU PECHEUR LA MOITIE DE TOUT L'ARGENT QU'IL AVAIT APPORTE D'ARABIE, ET LE PECHEUR, CONFONDU ET RAVI, BAISAIT LES PIEDS DE L'AMI DE CADOR, ET DISAIT : "VOUS ETES UN ANGE SAUVEUR. " CEPENDANT ZADIG DEMANDAIT TOUJOURS DES NOUVELLES, ET VERSAIT DES LARMES. " QUOI ! SEIGNEUR, S'ECRIA LE PECHEUR, VOUS SERIEZ DONC AUSSI MALHEUREUX, VOUS QUI FAITES DU BIEN ? - PLUS MALHEUREUX QUE TOI CENT FOIS, REPONDAIT ZADIG. - MAIS COMMENT SE PEUT-IL FAIRE, DISAIT LE BONHOMME, QUE CELUI QUI DONNE SOIT PLUS A PLAINDRE QUE CELUI QUI RECOIT ? - C'EST QUE TON PLUS GRAND MALHEUR, REPRIT ZADIG, ETAIT LE BESOIN, ET QUE JE SUIS INFORTUNE PAR LE COEUR. - ORCAN VOUS AURAIT-IL PRIS VOTRE FEMME ? DIT LE PECHEUR. " CE MOT RAPPELA DANS L'ESPRIT DE ZADIG TOUTES SES AVENTURES ; IL REPETAIT LA LISTE DE SES INFORTUNES, A COMMENCER DEPUIS LA CHIENNE DE LA REINE JUSQU'A SON ARRIVEE CHEZ LE BRIGAND ARBOGAD. "AH ! DIT-IL AU PECHEUR, ORCAN MERITE D'ETRE PUNI. MAIS D'ORDINAIRE CE SONT CES GENS-LA QUI SONT LES FAVORIS DE LA DESTINEE. QUOI QU'IL EN SOIT, VA CHEZ LE SEIGNEUR CADOR, ET ATTENDS-MOI. >> ILS SE SEPARERENT : LE PECHEUR MARCHA EN REMERCIANT SON DESTIN, ET ZADIG COURUT EN ACCUSANT TOUJOURS LE SIEN. CHAPITRE 18 - LE BASILIC ARRIVE DANS UNE BELLE PRAIRIE, IL Y VIT PLUSIEURS FEMMES QUI CHERCHAIENT QUELQUE CHOSE AVEC BEAUCOUP D'APPLICATION. IL PRIT LA LIBERTE DE S'APPROCHER DE L'UNE D'ELLES, ET DE LUI DEMANDER S'IL POUVAIT AVOIR L'HONNEUR DE LES AIDER DANS LEURS RECHERCHES. "GARDEZ-VOUS-EN BIEN, REPONDIT LA SYRIENNE ; CE QUE NOUS CHERCHONS NE PEUT ETRE TOUCHE QUE PAR DES FEMMES. - VOILA QUI EST BIEN ETRANGE, DIT ZADIG ; OSERAI-JE VOUS PRIER DE M'APPRENDRE CE QUE C'EST QU'IL N'EST PERMIS QU'AUX FEMMES DE TOUCHER ? - C'EST UN BASILIC, DIT-ELLE. - UN BASILIC, MADAME ! ET POUR QUELLE RAISON, S'IL VOUS PLAIT, CHERCHEZ-VOUS UN BASILIC ? - C'EST POUR NOTRE SEIGNEUR ET MAITRE OGUL, DONT VOUS VOYEZ LE CHATEAU SUR LE BORD DE CETTE RIVIERE, AU BOUT DE LA PRAIRIE. NOUS SOMMES SES TRES-HUMBLES ESCLAVES ; LE SEIGNEUR OGUL EST MALADE ; SON MEDECIN LUI A ORDONNE DE MANGER UN BASILIC CUIT DANS L'EAU ROSE ; ET COMME C'EST UN ANIMAL FORT RARE, ET QUI NE SE LAISSE JAMAIS PRENDRE QUE PAR DES FEMMES, LE SEIGNEUR OGUL A PROMIS DE CHOISIR POUR SA FEMME BIEN-AIMEE CELLE DE NOUS QUI LUI APPORTERAIT UN BASILIC : LAISSEZ-MOI CHERCHER, S'IL VOUS PLAIT, CAR VOUS VOYEZ CE QU'IL M'EN COUTERAIT SI J'ETAIS PREVENUE PAR MES COMPAGNES. " ZADIG LAISSA CETTE SYRIENNE ET LES AUTRES CHERCHER LEUR BASILIC, ET CONTINUA DE MARCHER DANS LA PRAIRIE. QUAND IL FUT AU BORD D'UN PETIT RUISSEAU, IL Y TROUVA UNE AUTRE DAME COUCHEE SUR LE GAZON, ET QUI NE CHERCHAIT RIEN. SA TAILLE PARAISSAIT MAJESTUEUSE, MAIS SON VISAGE ETAIT COUVERT D'UN VOILE. ELLE ETAIT PENCHEE VERS LE RUISSEAU ; DE PROFONDS SOUPIRS SORTAIENT DE SA BOUCHE. ELLE TENAIT EN MAIN UNE PETITE BAGUETTE, AVEC LAQUELLE ELLE TRACAIT DES CARACTERES SUR UN SABLE FIN QUI SE TROUVAIT ENTRE LE GAZON ET LE RUISSEAU. ZADIG EUT LA CURIOSITE DE VOIR CE QUE CETTE FEMME ECRIVAIT ; IL S'APPROCHA, IL VIT LA LETTRE Z, PUIS UN A ; IL FUT ETONNE ; PUIS PARUT UN D ; IL TRESSAILLIT. JAMAIS SURPRISE NE FUT EGALE A LA SIENNE QUAND IL VIT LES DEUX DERNIERES LETTRES DE SON NOM. IL DEMEURA QUELQUE TEMPS IMMOBILE ; ENFIN, ROMPANT LE SILENCE D'UNE VOIX ENTRECOUPEE : "O GENEREUSE DAME ! PARDONNEZ A UN ETRANGER, A UN INFORTUNE, D'OSER VOUS DEMANDER PAR QUELLE AVENTURE ETONNANTE JE TROUVE ICI LE NOM DE ZADIG TRACE DE VOTRE MAIN DIVINE ? >> A CETTE VOIX, A CES PAROLES, LA DAME RELEVA SON VOILE D'UNE MAIN TREMBLANTE, REGARDA ZADIG, JETA UN CRI D'ATTENDRISSEMENT, DE SURPRISE ET DE JOIE, ET, SUCCOMBANT SOUS TOUS LES MOUVEMENTS DIVERS QUI ASSAILLAIENT A LA FOIS SON AME, ELLE TOMBA EVANOUIE ENTRE SES BRAS. C'ETAIT ASTARTE ELLE-MEME, C'ETAIT LA REINE DE BABYLONE, C'ETAIT CELLE QUE ZADIG ADORAIT, ET QU'IL SE REPROCHAIT D'ADORER ; C'ETAIT CELLE DONT IL AVAIT TANT PLEURE ET TANT CRAINT LA DESTINEE. IL FUT UN MOMENT PRIVE DE L'USAGE DE SES SENS ; ET QUAND IL EUT ATTACHE SES REGARDS SUR LES YEUX D'ASTARTE, QUI SE ROUVRAIENT AVEC UNE LANGUEUR MELEE DE CONFUSION ET DE TENDRESSE : " O PUISSANCES IMMORTELLES ! S'ECRIA-T-IL, QUI PRESIDEZ AUX DESTINS DES FAIBLES HUMAINS, ME RENDEZ-VOUS ASTARTE ? EN QUEL TEMPS, EN QUELS LIEUX, EN QUEL ETAT LA REVOIS-JE ?" IL SE JETA A GENOUX DEVANT ASTARTE, ET IL ATTACHA SON FRONT A LA POUSSIERE DE SES PIEDS. LA REINE DE BABYLONE LE RELEVE, ET LE FAIT ASSEOIR AUPRES D'ELLE SUR LE BORD DE CE RUISSEAU ; ELLE ESSUYAIT A PLUSIEURS REPRISES SES YEUX DONT LES LARMES RECOMMENCAIENT TOUJOURS A COULER. ELLE REPRENAIT VINGT FOIS DES DISCOURS QUE SES GEMISSEMENTS INTERROMPAIENT ; ELLE L'INTERROGEAIT SUR LE HASARD QUI LES RASSEMBLAIT, ET PREVENAIT SOUDAIN SES REPONSES PAR D'AUTRES QUESTIONS. ELLE ENTAMAIT LE RECIT DE SES MALHEURS, ET VOULAIT SAVOIR CEUX DE ZADIG. ENFIN TOUS DEUX AYANT UN PEU APAISE LE TUMULTE DE LEURS AMES, ZADIG LUI CONTA EN PEU DE MOTS PAR QUELLE AVENTURE IL SE TROUVAIT DANS CETTE PRAIRIE. "MAIS, O MALHEUREUSE ET RESPECTABLE REINE ! COMMENT VOUS RETROUVE-JE EN CE LIEU ECARTE, VETUE EN ESCLAVE, ET ACCOMPAGNEE D'AUTRES FEMMES ESCLAVES QUI CHERCHENT UN BASILIC POUR LE FAIRE CUIRE DANS DE L'EAU ROSE PAR ORDONNANCE DU MEDECIN. - PENDANT QU'ELLES CHERCHENT LEUR BASILIC, DIT LA BELLE ASTARTE, JE VAIS VOUS APPRENDRE TOUT CE QUE J'AI SOUFFERT, ET TOUT CE QUE JE PARDONNE AU CIEL DEPUIS QUE JE VOUS REVOIS. VOUS SAVEZ QUE LE ROI MON MARI TROUVA MAUVAIS QUE VOUS FUSSIEZ LE PLUS AIMABLE DE TOUS LES HOMMES ; ET CE FUT POUR CETTE RAISON QU'IL PRIT UNE NUIT LA RESOLUTION DE VOUS FAIRE ETRANGLER ET DE M'EMPOISONNER. VOUS SAVEZ COMME LE CIEL PERMIT QUE MON PETIT MUET M'AVERTIT DE L'ORDRE DE SA SUBLIME MAJESTE. A PEINE LE FIDELE CADOR VOUS EUT-IL FORCE DE M'OBEIR ET DE PARTIR, QU'IL OSA ENTRER CHEZ MOI AU MILIEU DE LA NUIT PAR UNE ISSUE SECRETE. IL M'ENLEVA, ET ME CONDUISIT DANS LE TEMPLE D'OROSMADE, OU LE MAGE, SON FRERE, M'ENFERMA DANS UNE STATUE COLOSSALE DONT LA BASE TOUCHE AUX FONDEMENTS DU TEMPLE, ET DONT LA TETE ATTEINT LA VOUTE. JE FUS LA COMME ENSEVELIE, MAIS SERVIE PAR LE MAGE, ET NE MANQUANT D'AUCUNE CHOSE NECESSAIRE. CEPENDANT, AU POINT DU JOUR, L'APOTHICAIRE DE SA MAJESTE ENTRA DANS MA CHAMBRE AVEC UNE POTION MELEE DE JUSQUIAME, D'OPIUM, DE CIGUE, D'ELLEBORE NOIR ET D'ACONIT ; ET UN AUTRE OFFICIER ALLA CHEZ VOUS AVEC UN LACET DE SOIE BLEUE. ON NE TROUVA PERSONNE. CADOR, POUR MIEUX TROMPER LE ROI, FEIGNIT DE VENIR NOUS ACCUSER TOUS DEUX. IL DIT QUE VOUS AVIEZ PRIS LA ROUTE DES INDES, ET MOI CELLE DE MEMPHIS : ON ENVOYA DES SATELLITES APRES VOUS ET APRES MOI. "LES COURRIERS QUI ME CHERCHAIENT NE ME CONNAISSAIENT PAS. JE N'AVAIS PRESQUE JAMAIS MONTRE MON VISAGE QU'A VOUS SEUL, EN PRESENCE ET PAR ORDRE DE MON EPOUX. ILS COURURENT A MA POURSUITE, SUR LE PORTRAIT QU'ON LEUR FAISAIT DE MA PERSONNE : UNE FEMME DE LA MEME TAILLE QUE MOI, ET QUI PEUT-ETRE AVAIT PLUS DE CHARMES, S'OFFRIT A LEURS REGARDS SUR LES FRONTIERES DE L'EGYPTE. ELLE ETAIT EPLOREE, ERRANTE ; ILS NE DOUTERENT PAS QUE CETTE FEMME NE FUT LA REINE DE BABYLONE ; ILS LA MENERENT A MOABDAR. LEUR MEPRISE FIT ENTRER D'ABORD LE ROI DANS UNE VIOLENTE COLERE ; MAIS BIENTOT, AYANT CONSIDERE DE PLUS PRES CETTE FEMME, IL LA TROUVA TRES-BELLE, ET FUT CONSOLE. ON L'APPELAIT MISSOUF. ON M'A DIT DEPUIS QUE CE NOM SIGNIFIE EN LANGUE EGYPTIENNE LA BELLE CAPRICIEUSE. ELLE L'ETAIT EN EFFET ; MAIS ELLE AVAIT AUTANT D'ART QUE DE CAPRICE. ELLE PLUT A MOABDAR. ELLE LE SUBJUGUA AU POINT DE SE FAIRE DECLARER SA FEMME. ALORS SON CARACTERE SE DEVELOPPA TOUT ENTIER : ELLE SE LIVRA SANS CRAINTE A TOUTES LES FOLIES DE SON IMAGINATION. ELLE VOULUT OBLIGER LE CHEF DES MAGES, QUI ETAIT VIEUX ET GOUTTEUX, DE DANSER DEVANT ELLE ; ET SUR LE REFUS DU MAGE, ELLE LE PERSECUTA VIOLEMMENT. ELLE ORDONNA A SON GRAND-ECUYER DE LUI FAIRE UNE TOURTE DE CONFITURES. LE GRAND-ECUYER EUT BEAU LUI REPRESENTER QU'IL N'ETAIT POINT PATISSIER, IL FALLUT QU'IL FIT LA TOURTE ; ET ON LE CHASSA, PARCE QU'ELLE ETAIT TROP BRULEE. ELLE DONNA LA CHARGE DE GRAND-ECUYER A SON NAIN, ET LA PLACE DE CHANCELIER A UN PAGE. C'EST AINSI QU'ELLE GOUVERNA BABYLONE. TOUT LE MONDE ME REGRETTAIT. LE ROI, QUI AVAIT ETE ASSEZ HONNETE HOMME JUSQU'AU MOMENT OU IL AVAIT VOULU M'EMPOISONNER ET VOUS FAIRE ETRANGLER, SEMBLAIT AVOIR NOYE SES VERTUS DANS L'AMOUR PRODIGIEUX QU'IL AVAIT POUR LA BELLE CAPRICIEUSE. IL VINT AU TEMPLE LE GRAND JOUR DU FEU SACRE. JE LE VIS IMPLORER LES DIEUX POUR MISSOUF AUX PIEDS DE LA STATUE OU J'ETAIS RENFERMEE. J'ELEVAI LA VOIX ; JE LUI CRIAI : "LES DIEUX REFUSENT LES VOEUX D'UN ROI DEVENU TYRAN, QUI A VOULU FAIRE MOURIR UNE FEMME RAISONNABLE POUR EPOUSER UNE EXTRAVAGANTE. " MOABDAR FUT CONFONDU DE CES PAROLES AU POINT QUE SA TETE SE TROUBLA. L'ORACLE QUE J'AVAIS RENDU, ET LA TYRANNIE DE MISSOUF, SUFFISAIENT POUR LUI FAIRE PERDRE LE JUGEMENT. IL DEVINT FOU EN PEU DE JOURS. "SA FOLIE, QUI PARUT UN CHATIMENT DU CIEL, FUT LE SIGNAL DE LA REVOLTE. ON SE SOULEVA, ON COURUT AUX ARMES. BABYLONE, SI LONGTEMPS PLONGEE DANS UNE MOLLESSE OISIVE, DEVINT LE THEATRE D'UNE GUERRE CIVILE AFFREUSE. ON ME TIRA DU CREUX DE MA STATUE, ET ON ME MIT A LA TETE D'UN PARTI. CADOR COURUT A MEMPHIS, POUR VOUS RAMENER A BABYLONE. LE PRINCE D'HYRCANIE, APPRENANT CES FUNESTES NOUVELLES, REVINT AVEC SON ARMEE FAIRE UN TROISIEME PARTI DANS LA CHALDEE. IL ATTAQUA LE ROI, QUI COURUT AU-DEVANT DE LUI AVEC SON EXTRAVAGANTE EGYPTIENNE. MOABDAR MOURUT PERCE DE COUPS. MISSOUF TOMBA AUX MAINS DU VAINQUEUR. MON MALHEUR VOULUT QUE JE FUSSE PRISE MOI-MEME PAR UN PARTI HYRCANIEN, ET QU'ON ME MENAT DEVANT LE PRINCE PRECISEMENT DANS LE TEMPS QU'ON LUI AMENAIT MISSOUF. VOUS SEREZ FLATTE, SANS DOUTE, EN APPRENANT QUE LE PRINCE ME TROUVA PLUS BELLE QUE L'EGYPTIENNE ; MAIS VOUS SEREZ FACHE D'APPRENDRE QU'IL ME DESTINA A SON SERAIL. IL ME DIT FORT RESOLUMENT QUE, DES QU'IL AURAIT FINI UNE EXPEDITION MILITAIRE QU'IL ALLAIT EXECUTER, IL VIENDRAIT A MOI. JUGEZ DE MA DOULEUR. MES LIENS AVEC MOABDAR ETAIENT ROMPUS, JE POUVAIS ETRE A ZADIG ; ET JE TOMBAIS DANS LES CHAINES DE CE BARBARE ! JE LUI REPONDIS AVEC TOUTE LA FIERTE QUE ME DONNAIENT MON RANG ET MES SENTIMENTS. J'AVAIS TOUJOURS ENTENDU DIRE QUE LE CIEL ATTACHAIT AUX PERSONNES DE MA SORTE UN CARACTERE DE GRANDEUR QUI D'UN MOT ET D'UN COUP D'OEIL, FAISAIT RENTRER DANS L'ABAISSEMENT DU PLUS PROFOND RESPECT LES TEMERAIRES QUI OSAIENT S'EN ECARTER. JE PARLAI EN REINE, MAIS JE FUS TRAITEE EN DEMOISELLE SUIVANTE. L'HYRCANIEN, SANS DAIGNER SEULEMENT M'ADRESSER LA PAROLE, DIT A SON EUNUQUE NOIR QUE J'ETAIS UNE IMPERTINENTE, MAIS QU'IL ME TROUVAIT JOLIE. IL LUI ORDONNA D'AVOIR SOIN DE MOI ET DE ME METTRE AU REGIME DES FAVORITES, AFIN DE ME RAFRAICHIR LE TEINT, ET DE ME RENDRE PLUS DIGNE DE SES FAVEURS POUR LE JOUR OU IL AURAIT LA COMMODITE DE M'EN HONORER. JE LUI DIS QUE JE ME TUERAIS : IL REPLIQUA, EN RIANT, QU'ON NE SE TUAIT POINT, QU'IL ETAIT FAIT A CES FACONS-LA, ET ME QUITTA COMME UN HOMME QUI VIENT DE METTRE UN PERROQUET DANS SA MENAGERIE. QUEL ETAT POUR LA PREMIERE REINE DE L'UNIVERS, ET, JE DIRAI PLUS, POUR UN COEUR QUI ETAIT A ZADIG !" A CES PAROLES IL SE JETA A SES GENOUX, ET LES BAIGNA DE LARMES. ASTARTE LE RELEVA TENDREMENT, ET ELLE CONTINUA AINSI : "JE ME VOYAIS AU POUVOIR D'UN BARBARE, ET RIVALE D'UNE FOLLE AVEC QUI J'ETAIS RENFERMEE. ELLE ME RACONTA SON AVENTURE D'EGYPTE. JE JUGEAI PAR LES TRAITS DONT ELLE VOUS PEIGNAIT, PAR LE TEMPS, PAR LE DROMADAIRE SUR LEQUEL VOUS ETIEZ MONTE, PAR TOUTES LES CIRCONSTANCES, QUE C'ETAIT ZADIG QUI AVAIT COMBATTU POUR ELLE. JE NE DOUTAI PAS QUE VOUS NE FUSSIEZ A MEMPHIS ; JE PRIS LA RESOLUTION DE M'Y RETIRER. "BELLE MISSOUF, LUI DIS-JE, VOUS ETES BEAUCOUP PLUS PLAISANTE QUE MOI, VOUS DIVERTIREZ BIEN MIEUX QUE MOI LE PRINCE D'HYRCANIE. FACILITEZ-MOI LES MOYENS DE ME SAUVER ; VOUS REGNEREZ SEULE ; VOUS ME RENDREZ HEUREUSE, EN VOUS DEBARRASSANT D'UNE RIVALE. " MISSOUF CONCERTA AVEC MOI LES MOYENS DE MA FUITE. JE PARTIS DONC SECRETEMENT AVEC UNE ESCLAVE EGYPTIENNE. "J'ETAIS DEJA PRES DE L'ARABIE, LORSQU'UN FAMEUX VOLEUR, NOMME ARBOGAD, M'ENLEVA, ET ME VENDIT A DES MARCHANDS QUI M'ONT AMENEE DANS CE CHATEAU, OU DEMEURE LE SEIGNEUR OGUL. IL M'A ACHETEE SANS SAVOIR QUI J'ETAIS. C'EST UN HOMME VOLUPTUEUX QUI NE CHERCHE QU'A FAIRE GRANDE CHERE, ET QUI CROIT QUE DIEU L'A MIS AU MONDE POUR TENIR TABLE. IL EST D'UN EMBONPOINT EXCESSIF, QUI EST TOUJOURS PRET A LE SUFFOQUER. SON MEDECIN, QUI N'A QUE PEU DE CREDIT AUPRES DE LUI QUAND IL DIGERE BIEN, LE GOUVERNE DESPOTIQUEMENT QUAND IL A TROP MANGE. IL LUI A PERSUADE QU'IL LE GUERIRAIT AVEC UN BASILIC CUIT DANS DE L'EAU ROSE. LE SEIGNEUR OGUL A PROMIS SA MAIN A CELLE DE SES ESCLAVES QUI LUI APPORTERAIT UN BASILIC. VOUS VOYEZ QUE JE LES LAISSE S'EMPRESSER A MERITER CET HONNEUR, ET JE N'AI JAMAIS EU MOINS D'ENVIE DE TROUVER CE BASILIC QUE DEPUIS QUE LE CIEL A PERMIS QUE JE VOUS REVISSE. " ALORS ASTARTE ET ZADIG SE DIRENT TOUT CE QUE DES SENTIMENTS LONGTEMPS RETENUS, TOUT CE QUE LEURS MALHEURS ET LEURS AMOURS POUVAIENT INSPIRER AUX COEURS LES PLUS NOBLES ET LES PLUS PASSIONNES ; ET LES GENIES QUI PRESIDENT A L'AMOUR PORTERENT LEURS PAROLES JUSQU'A LA SPHERE DE VENUS. LES FEMMES RENTRERENT CHEZ OGUL SANS AVOIR RIEN TROUVE. ZADIG SE FIT PRESENTER A LUI, ET LUI PARLA EN CES TERMES : "QUE LA SANTE IMMORTELLE DESCENDE DU CIEL POUR AVOIR SOIN DE TOUS VOS JOURS ! JE SUIS MEDECIN, J'AI ACCOURU VERS VOUS SUR LE BRUIT DE VOTRE MALADIE, ET JE VOUS AI APPORTE UN BASILIC CUIT DANS DE L'EAU ROSE. CE N'EST PAS QUE JE PRETENDE VOUS EPOUSER : JE NE VOUS DEMANDE QUE LA LIBERTE D'UNE JEUNE ESCLAVE DE BABYLONE QUE VOUS AVEZ DEPUIS QUELQUES JOURS ; ET JE CONSENS DE RESTER EN ESCLAVAGE A SA PLACE SI JE N'AI PAS LE BONHEUR DE GUERIR LE MAGNIFIQUE SEIGNEUR OGUL. " LA PROPOSITION FUT ACCEPTEE. ASTARTE PARTIT POUR BABYLONE AVEC LE DOMESTIQUE DE ZADIG, EN LUI PROMETTANT DE LUI ENVOYER INCESSAMMENT UN COURRIER, POUR L'INSTRUIRE DE TOUT CE QUI SE SERAIT PASSE. LEURS ADIEUX FURENT AUSSI TENDRES QUE L'AVAIT ETE LEUR RECONNAISSANCE. LE MOMENT OU L'ON SE RETROUVE, ET CELUI OU L'ON SE SEPARE, SONT LES DEUX PLUS GRANDES EPOQUES DE LA VIE, COMME DIT LE GRAND LIVRE DU ZEND. ZADIG AIMAIT LA REINE AUTANT QU'IL LE JURAIT, ET LA REINE AIMAIT ZADIG PLUS QU'ELLE NE LE LUI DISAIT. CEPENDANT ZADIG PARLA AINSI A OGUL : "SEIGNEUR, ON NE MANGE POINT MON BASILIC, TOUTE SA VERTU DOIT ENTRER CHEZ VOUS PAR LES PORES. JE L'AI MIS DANS UNE PETITE OUTRE BIEN ENFLEE ET COUVERTE D'UNE PEAU FINE : IL FAUT QUE VOUS POUSSIEZ CETTE OUTRE DE TOUTE VOTRE FORCE, ET QUE JE VOUS LA RENVOIE A PLUSIEURS REPRISES ; ET EN PEU DE JOURS DE REGIME VOUS VERREZ CE QUE PEUT MON ART. " OGUL, DES LE PREMIER JOUR FUT TOUT ESSOUFFLE, ET CRUT QU'IL MOURRAIT DE FATIGUE. LE SECOND IL FUT MOINS FATIGUE, ET DORMIT MIEUX. EN HUIT JOURS IL RECOUVRA TOUTE LA FORCE, LA SANTE, LA LEGERETE, ET LA GAIETE DE SES PLUS BRILLANTES ANNEES. "VOUS AVEZ JOUE AU BALLON, ET VOUS AVEZ ETE SOBRE, LUI DIT ZADIG : APPRENEZ QU'IL N'Y A POINT DE BASILIC DANS LA NATURE, QU'ON SE PORTE TOUJOURS BIEN AVEC DE LA SOBRIETE ET DE L'EXERCICE, ET QUE L'ART DE FAIRE SUBSISTER ENSEMBLE L'INTEMPERANCE ET LA SANTE EST UN ART AUSSI CHIMERIQUE QUE LA PIERRE PHILOSOPHALE, L'ASTROLOGIE JUDICIAIRE ET LA THEOLOGIE DES MAGES. " LE PREMIER MEDECIN D'OGUL, SENTANT COMBIEN CET HOMME ETAIT DANGEREUX POUR LA MEDECINE, S'UNIT AVEC L'APOTHICAIRE DU CORPS POUR ENVOYER ZADIG CHERCHER DES BASILICS DANS L'AUTRE MONDE. AINSI, APRES AVOIR ETE TOUJOURS PUNI POUR AVOIR BIEN FAIT, IL ETAIT PRES DE PERIR POUR AVOIR GUERI UN SEIGNEUR GOURMAND. ON L'INVITA A UN EXCELLENT DINER. IL DEVAIT ETRE EMPOISONNE AU SECOND SERVICE ; MAIS IL RECUT UN COURRIER DE LA BELLE ASTARTE AU PREMIER. IL QUITTA LA TABLE, ET PARTIT. QUAND ON EST AIME D'UNE BELLE FEMME, DIT LE GRAND ZOROASTRE, ON SE TIRE TOUJOURS D'AFFAIRE DANS CE MONDE. CHAPITRE 19 - LES COMBATS LA REINE AVAIT ETE RECUE A BABYLONE AVEC LES TRANSPORTS QU'ON A TOUJOURS POUR UNE BELLE PRINCESSE QUI A ETE MALHEUREUSE. BABYLONE ALORS PARAISSAIT ETRE PLUS TRANQUILLE. LE PRINCE D'HYRCANIE AVAIT ETE TUE DANS UN COMBAT. LES BABYLONIENS, VAINQUEURS, DECLARERENT QU'ASTARTE EPOUSERAIT CELUI QU'ON CHOISIRAIT POUR SOUVERAIN. ON NE VOULUT POINT QUE LA PREMIERE PLACE DU MONDE, QUI SERAIT CELLE DE MARI D'ASTARTE ET DE ROI DE BABYLONE, DEPENDIT DES INTRIGUES ET DES CABALES. ON JURA DE RECONNAITRE POUR ROI LE PLUS VAILLANT ET LE PLUS SAGE. UNE GRANDE LICE, BORDEE D'AMPHITHEATRES MAGNIFIQUEMENT ORNES, FUT FORMEE A QUELQUES LIEUES DE LA VILLE. LES COMBATTANTS DEVAIENT S'Y RENDRE ARMES DE TOUTES PIECES. CHACUN D'EUX AVAIT DERRIERE LES AMPHITHEATRES UN APPARTEMENT SEPARE, OU IL NE DEVAIT ETRE VU NI CONNU DE PERSONNE. IL FALLAIT COURIR QUATRE LANCES. CEUX QUI SERAIENT ASSEZ HEUREUX POUR VAINCRE QUATRE CHEVALIERS DEVAIENT COMBATTRE ENSUITE LES UNS CONTRE LES AUTRES ; DE FACON QUE CELUI QUI RESTERAIT LE DERNIER MAITRE DU CAMP SERAIT PROCLAME LE VAINQUEUR DES JEUX. IL DEVAIT REVENIR QUATRE JOURS APRES AVEC LES MEMES ARMES, ET EXPLIQUER LES ENIGMES PROPOSEES PAR LES MAGES. S'IL N'EXPLIQUAIT POINT LES ENIGMES, IL N'ETAIT POINT ROI, ET IL FALLAIT RECOMMENCER A COURIR DES LANCES, JUSQU'A CE QU'ON TROUVAT UN HOMME QUI FUT VAINQUEUR DANS CES DEUX COMBATS ; CAR ON VOULAIT ABSOLUMENT POUR ROI LE PLUS VAILLANT ET LE PLUS SAGE. LA REINE, PENDANT TOUT CE TEMPS, DEVAIT ETRE ETROITEMENT GARDEE : ON LUI PERMETTAIT SEULEMENT D'ASSISTER AUX JEUX, COUVERTE D'UN VOILE ; MAIS ON NE SOUFFRAIT PAS QU'ELLE PARLAT A AUCUN DES PRETENDANTS, AFIN QU'IL N'Y EUT NI FAVEUR NI INJUSTICE. VOILA CE QU'ASTARTE FAISAIT SAVOIR A SON AMANT, ESPERANT QU'IL MONTRERAIT POUR ELLE PLUS DE VALEUR ET D'ESPRIT QUE PERSONNE. IL PARTIT, ET PRIA VENUS DE FORTIFIER SON COURAGE ET D'ECLAIRER SON ESPRIT. IL ARRIVA SUR LE RIVAGE DE L'EUPHRATE LA VEILLE DE CE GRAND JOUR. IL FIT INSCRIRE SA DEVISE PARMI CELLES DES COMBATTANTS, EN CACHANT SON VISAGE ET SON NOM, COMME LA LOI L'ORDONNAIT, ET ALLA SE REPOSER DANS L'APPARTEMENT QUI LUI ECHUT PAR LE SORT. SON AMI CADOR, QUI ETAIT REVENU A BABYLONE, APRES L'AVOIR INUTILEMENT CHERCHE EN EGYPTE, FIT PORTER DANS SA LOGE UNE ARMURE COMPLETE QUE LA REINE LUI ENVOYAIT. IL LUI FIT AMENER AUSSI DE SA PART LE PLUS BEAU CHEVAL DE PERSE. ZADIG RECONNUT ASTARTE A CES PRESENTS : SON COURAGE ET SON AMOUR EN PRIRENT DE NOUVELLES FORCES ET DE NOUVELLES ESPERANCES. LE LENDEMAIN LA REINE ETANT VENUE SE PLACER SOUS UN DAIS DE PIERRERIES, ET LES AMPHITHEATRES ETANT REMPLIS DE TOUTES LES DAMES ET DE TOUS LES ORDRES DE BABYLONE, LES COMBATTANTS PARURENT DANS LE CIRQUE. CHACUN D'EUX VINT METTRE SA DEVISE AUX PIEDS DU GRAND MAGE. ON TIRA AU SORT LES DEVISES ; CELLE DE ZADIG FUT LA DERNIERE. LE PREMIER QUI S'AVANCA ETAIT UN SEIGNEUR TRES-RICHE, NOMME ITOBAD, FORT VAIN, PEU COURAGEUX, TRES-MALADROIT, ET SANS ESPRIT. SES DOMESTIQUES L'AVAIENT PERSUADE QU'UN HOMME COMME LUI DEVAIT ETRE ROI ; IL LEUR AVAIT REPONDU : "UN HOMME COMME MOI DOIT REGNER ; AINSI ON L'AVAIT ARME DE PIED EN CAP. IL PORTAIT UNE ARMURE D'OR EMAILLEE DE VERT, UN PANACHE VERT, UNE LANCE ORNEE DE RUBANS VERTS. ON S'APERCUT D'ABORD, A LA MANIERE DONT ITOBAD GOUVERNAIT SON CHEVAL, QUE CE N'ETAIT PAS UN HOMME COMME LUI A QUI LE CIEL RESERVAIT LE SCEPTRE DE BABYLONE. LE PREMIER CHEVALIER QUI COURUT CONTRE LUI LE DESARCONNA ; LE SECOND LE RENVERSA SUR LA CROUPE DE SON CHEVAL, LES DEUX JAMBES EN L'AIR ET LES BRAS ETENDUS. ITOBAD SE REMIT, MAIS DE SI MAUVAISE GRACE QUE TOUT L'AMPHITHEATRE SE MIT A RIRE. UN TROISIEME NE DAIGNA PAS SE SERVIR DE SA LANCE ; MAIS, EN LUI FAISANT UNE PASSE, IL LE PRIT PAR LA JAMBE DROITE, ET LUI FAISANT FAIRE UN DEMI-TOUR, IL LE FIT TOMBER SUR LE SABLE : LES ECUYERS DES JEUX ACCOURURENT A LUI EN RIANT, ET LE REMIRENT EN SELLE. LE QUATRIEME COMBATTANT LE PREND PAR LA JAMBE GAUCHE, ET LE FAIT TOMBER DE L'AUTRE COTE. ON LE CONDUISIT AVEC DES HUEES A SA LOGE, OU IL DEVAIT PASSER LA NUIT SELON LA LOI ; ET IL DISAIT EN MARCHANT A PEINE : "QUELLE AVENTURE POUR UN HOMME COMME MOI !" LES AUTRES CHEVALIERS S'ACQUITTERENT MIEUX DE LEUR DEVOIR. IL Y EN EUT QUI VAINQUIRENT DEUX COMBATTANTS DE SUITE ; QUELQUES UNS ALLERENT JUSQU'A TROIS. IL N'Y EUT QUE LE PRINCE OTAME QUI EN VAINQUIT QUATRE. ENFIN ZADIG COMBATTIT A SON TOUR : IL DESARCONNA QUATRE CAVALIERS DE SUITE AVEC TOUTE LA GRACE POSSIBLE. IL FALLUT DONC VOIR QUI SERAIT VAINQUEUR D'OTAME OU DE ZADIG. LE PREMIER PORTAIT DES ARMES BLEUES ET OR, AVEC UN PANACHE DE MEME ; CELLES DE ZADIG ETAIENT BLANCHES. TOUS LES VOEUX SE PARTAGEAIENT ENTRE LE CHEVALIER BLEU ET LE CHEVALIER BLANC. LA REINE, A QUI LE COEUR PALPITAIT, FAISAIT DES PRIERES AU CIEL POUR LA COULEUR BLANCHE. LES DEUX CHAMPIONS FIRENT DES PASSES ET DES VOLTES AVEC TANT D'AGILITE, ILS SE DONNERENT DE SI BEAUX COUPS DE LANCE, ILS ETAIENT SI FERMES SUR LEURS ARCONS, QUE TOUT LE MONDE, HORS LA REINE, SOUHAITAIT QU'IL Y EUT DEUX ROIS DANS BABYLONE. ENFIN, LEURS CHEVAUX ETANT LASSES ET LEURS LANCES ROMPUES, ZADIG USA DE CETTE ADRESSE : IL PASSE DERRIERE LE PRINCE BLEU, S'ELANCE SUR LA CROUPE DE SON CHEVAL, LE PREND PAR LE MILIEU DU CORPS, LE JETTE A TERRE, SE MET EN SELLE A SA PLACE, ET CARACOLE AUTOUR D'OTAME ETENDU SUR LA PLACE. TOUT L'AMPHITHEATRE CRIE : "VICTOIRE AU CHEVALIER BLANC !" OTAME, INDIGNE, SE RELEVE, TIRE SON EPEE ; ZADIG SAUTE DE CHEVAL, LE SABRE A LA MAIN. LES VOILA TOUS DEUX SUR L'ARENE, LIVRANT UN NOUVEAU COMBAT OU LA FORCE ET L'AGILITE TRIOMPHENT TOUR A TOUR. LES PLUMES DE LEUR CASQUE, LES CLOUS DE LEURS BRASSARDS, LES MAILLES DE LEUR ARMURE SAUTENT AU LOIN SOUS MILLE COUPS PRECIPITES. ILS FRAPPENT DE POINTE ET DE TAILLE, A DROITE, A GAUCHE, SUR LA TETE, SUR LA POITRINE ; ILS RECULENT, ILS AVANCENT, ILS SE MESURENT, ILS SE REJOIGNENT, ILS SE SAISISSENT, ILS SE REPLIENT COMME DES SERPENTS, ILS S'ATTAQUENT COMME DES LIONS ; LE FEU JAILLIT A TOUT MOMENT DES COUPS QU'ILS SE PORTENT. ENFIN ZADIG, AYANT UN MOMENT REPRIS SES ESPRITS, S'ARRETE, FAIT UNE FEINTE, PASSE SUR OTAME, LE FAIT TOMBER, LE DESARME, ET OTAME S'ECRIE : "O CHEVALIER BLANC ! C'EST VOUS QUI DEVEZ REGNER SUR BABYLONE. " LA REINE ETAIT AU COMBLE DE LA JOIE. ON RECONDUISIT LE CHEVALIER BLEU ET LE CHEVALIER BLANC CHACUN A LEUR LOGE, AINSI QUE TOUS LES AUTRES, SELON CE QUI ETAIT PORTE PAR LA LOI. DES MUETS VINRENT LES SERVIR ET LEUR APPORTER A MANGER. ON PEUT JUGER SI LE PETIT MUET DE LA REINE NE FUT PAS CELUI QUI SERVIT ZADIG. ENSUITE ON LES LAISSA DORMIR SEULS JUSQU'AU LENDEMAIN MATIN, TEMPS OU LE VAINQUEUR DEVAIT APPORTER SA DEVISE AU GRAND MAGE, POUR LA CONFRONTER ET SE FAIRE RECONNAITRE. ZADIG DORMIT, QUOIQUE AMOUREUX, TANT IL ETAIT FATIGUE. ITOBAD, QUI ETAIT COUCHE AUPRES DE LUI, NE DORMIT POINT. IL SE LEVA PENDANT LA NUIT, ENTRA DANS SA LOGE, PRIT LES ARMES BLANCHES DE ZADIG AVEC SA DEVISE, ET MIT SON ARMURE VERTE A LA PLACE. LE POINT DU JOUR ETANT VENU, IL ALLA FIEREMENT AU GRAND MAGE, DECLARER QU'UN HOMME COMME LUI ETAIT VAINQUEUR. ON NE S'Y ATTENDAIT PAS ; MAIS IL FUT PROCLAME PENDANT QUE ZADIG DORMAIT ENCORE. ASTARTE, SURPRISE, ET LE DESESPOIR DANS LE COEUR, S'EN RETOURNA DANS BABYLONE. TOUT L'AMPHITHEATRE ETAIT DEJA PRESQUE VIDE LORSQUE ZADIG S'EVEILLA ; IL CHERCHA SES ARMES, ET NE TROUVA QUE CETTE ARMURE VERTE. IL ETAIT OBLIGE DE S'EN COUVRIR, N'AYANT RIEN AUTRE CHOSE AUPRES DE LUI. ETONNE ET INDIGNE, IL LES ENDOSSE AVEC FUREUR, IL AVANCE DANS CET EQUIPAGE. TOUT CE QUI ETAIT ENCORE SUR L'AMPHITHEATRE ET DANS LE CIRQUE LE RECUT AVEC DES HUEES. ON L'ENTOURAIT ; ON LUI INSULTAIT EN FACE. JAMAIS HOMME N'ESSUYA DES MORTIFICATIONS SI HUMILIANTES. LA PATIENCE LUI ECHAPPA ; IL ECARTA A COUPS DE SABRE LA POPULACE QUI OSAIT L'OUTRAGER ; MAIS IL NE SAVAIT QUEL PARTI PRENDRE. IL NE POUVAIT VOIR LA REINE ; IL NE POUVAIT RECLAMER L'ARMURE BLANCHE QU'ELLE LUI AVAIT ENVOYEE ; C'EUT ETE LA COMPROMETTRE ; AINSI, TANDIS QU'ELLE ETAIT PLONGEE DANS LA DOULEUR, IL ETAIT PENETRE DE FUREUR ET D'INQUIETUDE. IL SE PROMENAIT SUR LES BORDS DE L'EUPHRATE, PERSUADE QUE SON ETOILE LE DESTINAIT A ETRE MALHEUREUX SANS RESSOURCE, REPASSANT DANS SON ESPRIT TOUTES SES DISGRACES DEPUIS L'AVENTURE DE LA FEMME QUI HAISSAIT LES BORGNES, JUSQU'A CELLE DE SON ARMURE. "VOILA CE QUE C'EST, DISAIT-IL, DE M'ETRE EVEILLE TROP TARD ; SI J'AVAIS MOINS DORMI, JE SERAIS ROI DE BABYLONE, JE POSSEDERAIS ASTARTE. LES SCIENCES, LES MOEURS, LE COURAGE, N'ONT DONC JAMAIS SERVI QU'A MON INFORTUNE. " IL LUI ECHAPPA ENFIN DE MURMURER CONTRE LA PROVIDENCE, ET IL FUT TENTE DE CROIRE QUE TOUT ETAIT GOUVERNE PAR UNE DESTINEE CRUELLE QUI OPPRIMAIT LES BONS ET QUI FAISAIT PROSPERER LES CHEVALIERS VERTS. UN DE SES CHAGRINS ETAIT DE PORTER CETTE ARMURE VERTE QUI LUI AVAIT ATTIRE TANT DE HUEES. UN MARCHAND PASSA, IL LA LUI VENDIT A VIL PRIX, ET PRIT DU MARCHAND UNE ROBE ET UN BONNET LONG. DANS CET EQUIPAGE, IL COTOYAIT L'EUPHRATE, REMPLI DE DESESPOIR ET ACCUSANT EN SECRET LA PROVIDENCE, QUI LE PERSECUTAIT TOUJOURS. CHAPITRE 20 - L'ERMITE IL RENCONTRA EN MARCHANT UN ERMITE, DONT LA BARBE BLANCHE ET VENERABLE LUI DESCENDAIT JUSQU'A LA CEINTURE. IL TENAIT EN MAIN UN LIVRE QU'IL LISAIT ATTENTIVEMENT. ZADIG S'ARRETA, ET LUI FIT UNE PROFONDE INCLINATION. L'ERMITE LE SALUA D'UN AIR SI NOBLE ET SI DOUX QUE ZADIG EUT LA CURIOSITE DE L'ENTRETENIR. IL LUI DEMANDA QUEL LIVRE IL LISAIT. "C'EST LE LIVRE DES DESTINEES, DIT L'ERMITE ; VOULEZ-VOUS EN LIRE QUELQUE CHOSE ?" IL MIT LE LIVRE DANS LES MAINS DE ZADIG, QUI, TOUT INSTRUIT QU'IL ETAIT DANS PLUSIEURS LANGUES, NE PUT DECHIFFRER UN SEUL CARACTERE DU LIVRE. CELA REDOUBLA ENCORE SA CURIOSITE. "VOUS ME PARAISSEZ BIEN CHAGRIN, LUI DIT CE BON PERE. - HELAS ! QUE J'EN AI SUJET ! DIT ZADIG. - SI VOUS PERMETTEZ QUE JE VOUS ACCOMPAGNE, REPARTIT LE VIEILLARD, PEUT-ETRE VOUS SERAI-JE UTILE : J'AI QUELQUEFOIS REPANDU DES SENTIMENTS DE CONSOLATION DANS L'AME DES MALHEUREUX. " ZADIG SE SENTIT DU RESPECT POUR L'AIR, POUR LA BARBE, ET POUR LE LIVRE DE L'ERMITE. IL LUI TROUVA DANS LA CONVERSATION DES LUMIERES SUPERIEURES. L'ERMITE PARLAIT DE LA DESTINEE, DE LA JUSTICE, DE LA MORALE, DU SOUVERAIN BIEN, DE LA FAIBLESSE HUMAINE, DES VERTUS ET DES VICES, AVEC UNE ELOQUENCE SI VIVE ET SI TOUCHANTE, QUE ZADIG SE SENTIT ENTRAINE VERS LUI PAR UN CHARME INVINCIBLE. IL LE PRIA AVEC INSTANCE DE NE LE POINT QUITTER, JUSQU'A CE QU'ILS FUSSENT DE RETOUR A BABYLONE. "JE VOUS DEMANDE MOI-MEME CETTE GRACE, LUI DIT LE VIEILLARD ; JUREZ-MOI PAR OROSMADE QUE VOUS NE VOUS SEPAREREZ POINT DE MOI D'ICI A QUELQUES JOURS, QUELQUE CHOSE QUE JE FASSE. " ZADIG JURA, ET ILS PARTIRENT ENSEMBLE. LES DEUX VOYAGEURS ARRIVERENT LE SOIR A UN CHATEAU SUPERBE. L'ERMITE DEMANDA L'HOSPITALITE POUR LUI ET POUR LE JEUNE HOMME QUI L'ACCOMPAGNAIT. LE PORTIER, QU'ON AURAIT PRIS POUR UN GRAND SEIGNEUR, LES INTRODUISIT AVEC UNE ESPECE DE BONTE DEDAIGNEUSE. ON LES PRESENTA A UN PRINCIPAL DOMESTIQUE, QUI LEUR FIT VOIR LES APPARTEMENTS MAGNIFIQUES DU MAITRE. ILS FURENT ADMIS A SA TABLE AU BAS BOUT, SANS QUE LE SEIGNEUR DU CHATEAU LES HONORAT D'UN REGARD ; MAIS ILS FURENT SERVIS COMME LES AUTRES AVEC DELICATESSE ET PROFUSION. ON LEUR DONNA ENSUITE A LAVER DANS UN BASSIN D'OR GARNI D'EMERAUDES ET DE RUBIS. ON LES MENA COUCHER DANS UN BEL APPARTEMENT, ET LE LENDEMAIN MATIN UN DOMESTIQUE LEUR APPORTA A CHACUN UNE PIECE D'OR, APRES QUOI ON LES CONGEDIA. "LE MAITRE DE LA MAISON, DIT ZADIG EN CHEMIN, ME PARAIT ETRE UN HOMME GENEREUX, QUOIQUE UN PEU FIER ; IL EXERCE NOBLEMENT L'HOSPITALITE. " EN DISANT CES PAROLES, IL APERCUT QU'UNE ESPECE DE POCHE TRES-LARGE QUE PORTAIT L'ERMITE PARAISSAIT TENDUE ET ENFLEE : IL Y VIT LE BASSIN D'OR GARNI DE PIERRERIES, QUE CELUI-CI AVAIT VOLE. IL N'OSA D'ABORD EN RIEN TEMOIGNER ; MAIS IL ETAIT DANS UNE ETRANGE SURPRISE. VERS LE MIDI, L'ERMITE SE PRESENTA A LA PORTE D'UNE MAISON TRES-PETITE, OU LOGEAIT UN RICHE AVARE ; IL Y DEMANDA L'HOSPITALITE POUR QUELQUES HEURES. UN VIEUX VALET MAL HABILLE LE RECUT D'UN TON RUDE, ET FIT ENTRER L'ERMITE ET ZADIG DANS L'ECURIE, OU ON LEUR DONNA QUELQUES OLIVES POURRIES, DE MAUVAIS PAIN, ET DE LA BIERE GATEE. L'ERMITE BUT ET MANGEA D'UN AIR AUSSI CONTENT QUE LA VEILLE ; PUIS S'ADRESSANT A CE VIEUX VALET QUI LES OBSERVAIT TOUS DEUX POUR VOIR S'ILS NE VOLAIENT RIEN, ET QUI LES PRESSAIT DE PARTIR, IL LUI DONNA LES DEUX PIECES D'OR QU'IL AVAIT RECUES LE MATIN, ET LE REMERCIA DE TOUTES SES ATTENTIONS. "JE VOUS PRIE, AJOUTA-T-IL, FAITES-MOI PARLER A VOTRE MAITRE. " LE VALET ETONNE INTRODUISIT LES DEUX VOYAGEURS : "MAGNIFIQUE SEIGNEUR, DIT L'ERMITE, JE NE PUIS QUE VOUS RENDRE DE TRES-HUMBLES GRACES DE LA MANIERE NOBLE DONT VOUS NOUS AVEZ RECUS : DAIGNEZ ACCEPTER CE BASSIN D'OR COMME UN FAIBLE GAGE DE MA RECONNAISSANCE. " L'AVARE FUT PRES DE TOMBER A LA RENVERSE. L'ERMITE NE LUI DONNA PAS LE TEMPS DE REVENIR DE SON SAISISSEMENT, IL PARTIT AU PLUS VITE AVEC SON JEUNE VOYAGEUR. "MON PERE, LUI DIT ZADIG, QU'EST-CE QUE TOUT CE QUE JE VOIS ? VOUS NE ME PARAISSEZ RESSEMBLER EN RIEN AUX AUTRES HOMMES : VOUS VOLEZ UN BASSIN D'OR GARNI DE PIERRERIES A UN SEIGNEUR QUI VOUS RECOIT MAGNIFIQUEMENT, ET VOUS LE DONNEZ A UN AVARE QUI VOUS TRAITE AVEC INDIGNITE. - MON FILS, REPONDIT LE VIEILLARD, CET HOMME MAGNIFIQUE, QUI NE RECOIT LES ETRANGERS QUE PAR VANITE, ET POUR FAIRE ADMIRER SES RICHESSES, DEVIENDRA PLUS SAGE ; L'AVARE APPRENDRA A EXERCER L'HOSPITALITE : NE VOUS ETONNEZ DE RIEN, ET SUIVEZ-MOI. " ZADIG NE SAVAIT ENCORE S'IL AVAIT AFFAIRE AU PLUS FOU OU AU PLUS SAGE DE TOUS LES HOMMES ; MAIS L'ERMITE PARLAIT AVEC TANT D'ASCENDANT, QUE ZADIG, LIE D'AILLEURS PAR SON SERMENT, NE PUT S'EMPECHER DE LE SUIVRE. ILS ARRIVERENT LE SOIR A UNE MAISON AGREABLEMENT BATIE, MAIS SIMPLE, OU RIEN NE SENTAIT NI LA PRODIGALITE NI L'AVARICE. LE MAITRE ETAIT UN PHILOSOPHE RETIRE DU MONDE, QUI CULTIVAIT EN PAIX LA SAGESSE ET LA VERTU, ET QUI CEPENDANT NE S'ENNUYAIT PAS. IL S'ETAIT PLU A BATIR CETTE RETRAITE DANS LAQUELLE IL RECEVAIT LES ETRANGERS AVEC UNE NOBLESSE QUI N'AVAIT RIEN DE L'OSTENTATION. IL ALLA LUI-MEME AU-DEVANT DES DEUX VOYAGEURS, QU'IL FIT REPOSER D'ABORD DANS UN APPARTEMENT COMMODE. QUELQUE TEMPS APRES, IL LES VINT PRENDRE LUI-MEME POUR LES INVITER A UN REPAS PROPRE ET BIEN ENTENDU, PENDANT LEQUEL IL PARLA AVEC DISCRETION DES DERNIERES REVOLUTIONS DE BABYLONE. IL PARUT SINCEREMENT ATTACHE A LA REINE, ET SOUHAITA QUE ZADIG EUT PARU DANS LA LICE POUR DISPUTER LA COURONNE. "MAIS LES HOMMES, AJOUTA-T-IL, NE MERITENT PAS D'AVOIR UN ROI COMME ZADIG. " CELUI-CI ROUGISSAIT, ET SENTAIT REDOUBLER SES DOULEURS. ON CONVINT DANS LA CONVERSATION QUE LES CHOSES DE CE MONDE N'ALLAIENT PAS TOUJOURS AU GRE DES PLUS SAGES. L'ERMITE SOUTINT TOUJOURS QU'ON NE CONNAISSAIT PAS LES VOIES DE LA PROVIDENCE, ET QUE LES HOMMES AVAIENT TORT DE JUGER D'UN TOUT DONT ILS N'APERCEVAIENT QUE LA PLUS PETITE PARTIE. ON PARLA DES PASSIONS. "AH ! QU'ELLES SONT FUNESTES ! DISAIT ZADIG. - CE SONT LES VENTS QUI ENFLENT LES VOILES DU VAISSEAU, REPARTIT L'ERMITE : ELLES LE SUBMERGENT QUELQUEFOIS ; MAIS SANS ELLES IL NE POURRAIT VOGUER. LA BILE REND COLERE ET MALADE ; MAIS SANS LA BILE L'HOMME NE SAURAIT VIVRE. TOUT EST DANGEREUX ICI-BAS, ET TOUT EST NECESSAIRE. " ON PARLA DE PLAISIR, ET L'ERMITE PROUVA QUE C'EST UN PRESENT DE LA DIVINITE ; "CAR, DIT-IL, L'HOMME NE PEUT SE DONNER NI SENSATION NI IDEES, IL RECOIT TOUT ; LA PEINE ET LE PLAISIR LUI VIENNENT D'AILLEURS COMME SON ETRE. " ZADIG ADMIRAIT COMMENT UN HOMME QUI AVAIT FAIT DES CHOSES SI EXTRAVAGANTES POUVAIT RAISONNER SI BIEN. ENFIN, APRES UN ENTRETIEN AUSSI INSTRUCTIF QU'AGREABLE, L'HOTE RECONDUISIT SES DEUX VOYAGEURS DANS LEUR APPARTEMENT, EN BENISSANT LE CIEL QUI LUI AVAIT ENVOYE DEUX HOMMES SI SAGES ET SI VERTUEUX. IL LEUR OFFRIT DE L'ARGENT D'UNE MANIERE AISEE ET NOBLE QUI NE POUVAIT DEPLAIRE. L'ERMITE LE REFUSA, ET LUI DIT QU'IL PRENAIT CONGE DE LUI, COMPTANT PARTIR POUR BABYLONE AVANT LE JOUR. LEUR SEPARATION FUT TENDRE, ZADIG SURTOUT SE SENTAIT PLEIN D'ESTIME ET D'INCLINATION POUR UN HOMME SI AIMABLE. QUAND L'ERMITE ET LUI FURENT DANS LEUR APPARTEMENT, ILS FIRENT LONGTEMPS L'ELOGE DE LEUR HOTE. LE VIEILLARD AU POINT DU JOUR EVEILLA SON CAMARADE. "IL FAUT PARTIR, DIT-IL ; MAIS TANDIS QUE TOUT LE MONDE DORT ENCORE, JE VEUX LAISSER A CET HOMME UN TEMOIGNAGE DE MON ESTIME ET DE MON AFFECTION. " EN DISANT CES MOTS, IL PRIT UN FLAMBEAU, ET MIT LE FEU A LA MAISON. ZADIG, EPOUVANTE, JETA DES CRIS, ET VOULUT L'EMPECHER DE COMMETTRE UNE ACTION SI AFFREUSE. L'ERMITE L'ENTRAINAIT PAR UNE FORCE SUPERIEURE ; LA MAISON ETAIT ENFLAMMEE. L'ERMITE, QUI ETAIT DEJA ASSEZ LOIN AVEC SON COMPAGNON, LA REGARDAIT BRULER TRANQUILLEMENT. "DIEU MERCI ! DIT-IL, VOILA LA MAISON DE MON CHER HOTE DETRUITE DE FOND EN COMBLE ! L'HEUREUX HOMME !" A CES MOTS ZADIG FUT TENTE A LA FOIS D'ECLATER DE RIRE, DE DIRE DES INJURES AU REVEREND PERE, DE LE BATTRE, ET DE S'ENFUIR ; MAIS IL NE FIT RIEN DE TOUT CELA, ET, TOUJOURS SUBJUGUE PAR L'ASCENDANT DE L'ERMITE, IL LE SUIVIT MALGRE LUI A LA DERNIERE COUCHEE. CE FUT CHEZ UNE VEUVE CHARITABLE ET VERTUEUSE QUI AVAIT UN NEVEU DE QUATORZE ANS, PLEIN D'AGREMENTS ET SON UNIQUE ESPERANCE. ELLE FIT DU MIEUX QU'ELLE PUT LES HONNEURS DE SA MAISON. LE LENDEMAIN, ELLE ORDONNA A SON NEVEU D'ACCOMPAGNER LES VOYAGEURS JUSQU'A UN PONT QUI, ETANT ROMPU DEPUIS PEU, ETAIT DEVENU UN PASSAGE DANGEREUX. LE JEUNE HOMME, EMPRESSE, MARCHE AU DEVANT D'EUX. QUAND ILS FURENT SUR LE PONT : "VENEZ, DIT L'ERMITE AU JEUNE HOMME, IL FAUT QUE JE MARQUE MA RECONNAISSANCE A VOTRE TANTE. " IL LE PREND ALORS PAR LES CHEVEUX, ET LE JETTE DANS LA RIVIERE. L'ENFANT TOMBE, REPARAIT UN MOMENT SUR L'EAU, ET EST ENGOUFFRE DANS LE TORRENT. "O MONSTRE ! O LE PLUS SCELERAT DE TOUS LES HOMMES ! S'ECRIA ZADIG. - VOUS M'AVIEZ PROMIS PLUS DE PATIENCE, LUI DIT L'ERMITE EN L'INTERROMPANT : APPRENEZ QUE SOUS LES RUINES DE CETTE MAISON OU LA PROVIDENCE A MIS LE FEU, LE MAITRE A TROUVE UN TRESOR IMMENSE ; APPRENEZ QUE CE JEUNE HOMME DONT LA PROVIDENCE A TORDU LE COU AURAIT ASSASSINE SA TANTE DANS UN AN, ET VOUS DANS DEUX. - QUI TE L'A DIT, BARBARE ? CRIA ZADIG ; ET QUAND TU AURAIS LU CET EVENEMENT DANS TON LIVRE DES DESTINEES, T'EST-IL PERMIS DE NOYER UN ENFANT QUI NE T'A POINT FAIT DE MAL ?" TANDIS QUE LE BABYLONIEN PARLAIT, IL APERCUT QUE LE VIEILLARD N'AVAIT PLUS DE BARBE, QUE SON VISAGE PRENAIT LES TRAITS DE LA JEUNESSE. SON HABIT D'ERMITE DISPARUT ; QUATRE BELLES AILES COUVRAIENT UN CORPS MAJESTUEUX ET RESPLENDISSANT DE LUMIERE. "O ENVOYE DU CIEL ! O ANGE DIVIN ! S'ECRIA ZADIG EN SE PROSTERNANT, TU ES DONC DESCENDU DE L'EMPYREE POUR APPRENDRE A UN FAIBLE MORTEL A SE SOUMETTRE AUX ORDRES ETERNELS ? - LES HOMMES, DIT L'ANGE JESRAD, JUGENT DE TOUT SANS RIEN CONNAITRE : TU ETAIS CELUI DE TOUS LES HOMMES QUI MERITAIT LE PLUS D'ETRE ECLAIRE. " ZADIG LUI DEMANDA LA PERMISSION DE PARLER. "JE ME DEFIE DE MOI-MEME, DIT-IL ; MAIS OSERAI-JE TE PRIER DE M'ECLAIRCIR UN DOUTE : NE VAUDRAIT-IL PAS MIEUX AVOIR CORRIGE CET ENFANT, ET L'AVOIR RENDU VERTUEUX, QUE DE LE NOYER ?" JESRAD REPRIT : " S'IL AVAIT ETE VERTUEUX, ET S'IL EUT VECU, SON DESTIN ETAIT D'ETRE ASSASSINE LUI-MEME AVEC LA FEMME QU'IL DEVAIT EPOUSER, ET LE FILS QUI EN DEVAIT NAITRE. - MAIS QUOI ! DIT ZADIG, IL EST DONC NECESSAIRE QU'IL Y AIT DES CRIMES ET DES MALHEURS ? ET LES MALHEURS TOMBENT SUR LES GENS DE BIEN ! - LES MECHANTS, REPONDIT JESRAD, SONT TOUJOURS MALHEUREUX : ILS SERVENT A EPROUVER UN PETIT NOMBRE DE JUSTES REPANDUS SUR LA TERRE, ET IL N'Y A POINT DE MAL DONT IL NE NAISSE UN BIEN. - MAIS, DIT ZADIG, S'IL N'Y AVAIT QUE DU BIEN, ET POINT DE MAL ? - ALORS, REPRIT JESRAD, CETTE TERRE SERAIT UNE AUTRE TERRE, L'ENCHAINEMENT DES EVENEMENTS SERAIT UN AUTRE ORDRE DE SAGESSE ; ET CET ORDRE, QUI SERAIT PARFAIT, NE PEUT ETRE QUE DANS LA DEMEURE ETERNELLE DE L'ETRE SUPREME, DE QUI LE MAL NE PEUT APPROCHER. IL A CREE DES MILLIONS DE MONDES DONT AUCUN NE PEUT RESSEMBLER A L'AUTRE. CETTE IMMENSE VARIETE EST UN ATTRIBUT DE SA PUISSANCE IMMENSE. IL N'Y A NI DEUX FEUILLES D'ARBRE SUR LA TERRE, NI DEUX GLOBES DANS LES CHAMPS INFINIS DU CIEL, QUI SOIENT SEMBLABLES, ET TOUT CE QUE TU VOIS SUR LE PETIT ATOME OU TU ES NE DEVAIT ETRE DANS SA PLACE ET DANS SON TEMPS FIXE, SELON LES ORDRES IMMUABLES DE CELUI QUI EMBRASSE TOUT. LES HOMMES PENSENT QUE CET ENFANT QUI VIENT DE PERIR EST TOMBE DANS L'EAU PAR HASARD, QUE C'EST PAR UN MEME HASARD QUE CETTE MAISON EST BRULEE : MAIS IL N'Y A POINT DE HASARD ; TOUT EST EPREUVE, OU PUNITION, OU RECOMPENSE, OU PREVOYANCE. SOUVIENS-TOI DE CE PECHEUR QUI SE CROYAIT LE PLUS MALHEUREUX DE TOUS LES HOMMES. OROSMADE T'A ENVOYE POUR CHANGER SA DESTINEE. FAIBLE MORTEL ! CESSE DE DISPUTER CONTRE CE QU'IL FAUT ADORER. - MAIS, DIT ZADIG ... " COMME IL DISAIT MAIS, L'ANGE PRENAIT DEJA SON VOL VERS LA DIXIEME SPHERE. ZADIG, A GENOUX, ADORA LA PROVIDENCE, ET SE SOUMIT. L'ANGE LUI CRIA DU HAUT DES AIRS : "PRENDS TON CHEMIN VERS BABYLONE. " CHAPITRE 21 - LES ENIGMES ZADIG, HORS DE LUI-MEME, ET COMME UN HOMME AUPRES DE QUI EST TOMBE LE TONNERRE, MARCHAIT AU HASARD. IL ENTRA DANS BABYLONE LE JOUR OU CEUX QUI AVAIENT COMBATTU DANS LA LICE ETAIENT DEJA ASSEMBLES DANS LE GRAND VESTIBULE DU PALAIS POUR EXPLIQUER LES ENIGMES, ET POUR REPONDRE AUX QUESTIONS DU GRAND MAGE. TOUS LES CHEVALIERS ETAIENT ARRIVES, EXCEPTE L'ARMURE VERTE. DES QUE ZADIG PARUT DANS LA VILLE, LE PEUPLE S'ASSEMBLA AUTOUR DE LUI ; LES YEUX NE SE RASSASIAIENT POINT DE LE VOIR, LES BOUCHES DE LE BENIR, LES COEURS DE LUI SOUHAITER L'EMPIRE. L'ENVIEUX LE VIT PASSER, FREMIT, ET SE DETOURNA ; LE PEUPLE LE PORTA JUSQU'AU LIEU DE L'ASSEMBLEE. LA REINE, A QUI ON APPRIT SON ARRIVEE, FUT EN PROIE A L'AGITATION DE LA CRAINTE ET DE L'ESPERANCE ; L'INQUIETUDE LA DEVORAIT : ELLE NE POUVAIT COMPRENDRE NI POURQUOI ZADIG ETAIT SANS ARMES, NI COMMENT ITOBAD PORTAIT L'ARMURE BLANCHE. UN MURMURE CONFUS S'ELEVA A LA VUE DE ZADIG. ON ETAIT SURPRIS ET CHARME DE LE REVOIR ; MAIS IL N'ETAIT PERMIS QU'AUX CHEVALIERS QUI AVAIENT COMBATTU DE PARAITRE DANS L'ASSEMBLEE. "J'AI COMBATTU COMME UN AUTRE, DIT-IL ; MAIS UN AUTRE PORTE ICI MES ARMES ; ET, EN ATTENDANT QUE J'AIE L'HONNEUR DE LE PROUVER, JE DEMANDE LA PERMISSION DE ME PRESENTER POUR EXPLIQUER LES ENIGMES. " ON ALLA AUX VOIX : SA REPUTATION DE PROBITE ETAIT ENCORE SI FORTEMENT IMPRIMEE DANS LES ESPRITS QU'ON NE BALANCA PAS A L'ADMETTRE. LE GRAND MAGE PROPOSA D'ABORD CETTE QUESTION : "QUELLE EST DE TOUTES LES CHOSES DU MONDE LA PLUS LONGUE ET LA PLUS COURTE, LA PLUS PROMPTE ET LA PLUS LENTE, LA PLUS DIVISIBLE ET LA PLUS ETENDUE, LA PLUS NEGLIGEE ET LA PLUS REGRETTEE, SANS QUI RIEN NE SE PEUT FAIRE, QUI DEVORE TOUT CE QUI EST PETIT, ET QUI VIVIFIE TOUT CE QUI EST GRAND ?" C'ETAIT A ITOBAD A PARLER. IL REPONDIT QU'UN HOMME COMME LUI N'ENTENDAIT RIEN AUX ENIGMES, ET QU'IL LUI SUFFISAIT D'AVOIR VAINCU A GRANDS COUPS DE LANCE. LES UNS DIRENT QUE LE MOT DE L'ENIGME ETAIT LA FORTUNE, D'AUTRES LA TERRE, D'AUTRES LA LUMIERE. ZADIG DIT QUE C'ETAIT LE TEMPS : "RIEN N'EST PLUS LONG, AJOUTA-T-IL, PUISQU'IL EST LA MESURE DE L'ETERNITE ; RIEN N'EST PLUS COURT, PUISQU'IL MANQUE A TOUS NOS PROJETS ; RIEN N'EST PLUS LENT POUR QUI ATTEND ; RIEN DE PLUS RAPIDE POUR QUI JOUIT ; IL S'ETEND JUSQU'A L'INFINI EN GRAND ; IL SE DIVISE JUSQUE DANS L'INFINI EN PETIT ; TOUS LES HOMMES LE NEGLIGENT, TOUS EN REGRETTENT LA PERTE ; RIEN NE SE FAIT SANS LUI ; IL FAIT OUBLIER TOUT CE QUI EST INDIGNE DE LA POSTERITE ET IL IMMORTALISE LES GRANDES CHOSES. " L'ASSEMBLEE CONVINT QUE ZADIG AVAIT RAISON. ON DEMANDA ENSUITE : "QUELLE EST LA CHOSE QU'ON RECOIT SANS REMERCIER, DONT ON JOUIT SANS SAVOIR COMMENT, QU'ON DONNE AUX AUTRES QUAND ON NE SAIT OU L'ON EN EST, ET QU'ON PERD SANS S'EN APERCEVOIR ?" CHACUN DIT SON MOT : ZADIG DEVINA SEUL QUE C'ETAIT LA VIE. IL EXPLIQUA TOUTES LES AUTRES ENIGMES AVEC LA MEME FACILITE. ITOBAD DISAIT TOUJOURS QUE RIEN N'ETAIT PLUS AISE, ET QU'IL EN SERAIT VENU A BOUT TOUT AUSSI FACILEMENT S'IL AVAIT VOULU S'EN DONNER LA PEINE. ON PROPOSA DES QUESTIONS SUR LA JUSTICE, SUR LE SOUVERAIN BIEN, SUR L'ART DE REGNER. LES REPONSES DE ZADIG FURENT JUGEES LES PLUS SOLIDES. "C'EST BIEN DOMMAGE, DISAIT-ON, QU'UN SI BON ESPRIT SOIT UN SI MAUVAIS CAVALIER. - ILLUSTRES SEIGNEURS, DIT ZADIG, J'AI EU L'HONNEUR DE VAINCRE DANS LA LICE. C'EST A MOI QU'APPARTIENT L'ARMURE BLANCHE. LE SEIGNEUR ITOBAD S'EN EMPARA PENDANT MON SOMMEIL : IL JUGEA APPAREMMENT QU'ELLE LUI SIERAIT MIEUX QUE LA VERTE. JE SUIS PRET A LUI PROUVER D'ABORD DEVANT VOUS, AVEC MA ROBE ET MON EPEE, CONTRE TOUTE CETTE BELLE ARMURE BLANCHE QU'IL M'A PRISE, QUE C'EST MOI QUI AI EU L'HONNEUR DE VAINCRE LE BRAVE OTAME. " ITOBAD ACCEPTA LE DEFI AVEC LA PLUS GRANDE CONFIANCE. IL NE DOUTAIT PAS QU'ETANT CASQUE, CUIRASSE, BRASSARDE, IL NE VINT AISEMENT A BOUT D'UN CHAMPION EN BONNET DE NUIT ET EN ROBE DE CHAMBRE. ZADIG TIRA SON EPEE, EN SALUANT LA REINE QUI LE REGARDAIT, PENETREE DE JOIE ET DE CRAINTE. ITOBAD TIRA LA SIENNE, EN NE SALUANT PERSONNE. IL S'AVANCA SUR ZADIG COMME UN HOMME QUI N'AVAIT RIEN A CRAINDRE. IL ETAIT PRET A LUI FENDRE LA TETE : ZADIG SUT PARER LE COUP, EN OPPOSANT CE QU'ON APPELLE LE FORT DE L'EPEE AU FAIBLE DE SON ADVERSAIRE, DE FACON QUE L'EPEE D'ITOBAD SE ROMPIT. ALORS ZADIG, SAISISSANT SON ENNEMI AU CORPS, LE RENVERSA PAR TERRE ; ET LUI PORTANT LA POINTE DE SON EPEE AU DEFAUT DE LA CUIRASSE : "LAISSEZ-VOUS DESARMER, DIT-IL, OU JE VOUS TUE. " ITOBAD, TOUJOURS SURPRIS DES DISGRACES QUI ARRIVAIENT A UN HOMME COMME LUI, LAISSA FAIRE ZADIG, QUI LUI OTA PAISIBLEMENT SON MAGNIFIQUE CASQUE, SA SUPERBE CUIRASSE, SES BEAUX BRASSARDS, SES BRILLANTS CUISSARDS ; S'EN REVETIT, ET COURUT DANS CET EQUIPAGE SE JETER AUX GENOUX D'ASTARTE. CADOR PROUVA AISEMENT QUE L'ARMURE APPARTENAIT A ZADIG. IL FUT RECONNU ROI D'UN CONSENTEMENT UNANIME, ET SURTOUT DE CELUI D'ASTARTE, QUI GOUTAIT, APRES TANT D'ADVERSITES, LA DOUCEUR DE VOIR SON AMANT DIGNE AUX YEUX DE L'UNIVERS D'ETRE SON EPOUX. ITOBAD ALLA SE FAIRE APPELER MONSEIGNEUR DANS SA MAISON. ZADIG FUT ROI, ET FUT HEUREUX. IL AVAIT PRESENT A L'ESPRIT CE QUE LUI AVAIT DIT L'ANGE JESRAD. IL SE SOUVENAIT MEME DU GRAIN DE SABLE DEVENU DIAMANT. LA REINE ET LUI ADORERENT LA PROVIDENCE. ZADIG LAISSA LA BELLE CAPRICIEUSE MISSOUF COURIR LE MONDE. IL ENVOYA CHERCHER LE BRIGAND ARBOGAD, AUQUEL IL DONNA UN GRADE HONORABLE DANS SON ARMEE, AVEC PROMESSE DE L'AVANCER AUX PREMIERES DIGNITES S'IL SE COMPORTAIT EN VRAI GUERRIER, ET DE LE FAIRE PENDRE S'IL FAISAIT LE METIER DE BRIGAND. SETOC FUT APPELE DU FOND DE L'ARABIE, AVEC LA BELLE ALMONA, POUR ETRE A LA TETE DU COMMERCE DE BABYLONE. CADOR FUT PLACE ET CHERI SELON SES SERVICES ; IL FUT L'AMI DU ROI, ET LE ROI FUT ALORS LE SEUL MONARQUE DE LA TERRE QUI EUT UN AMI. LE PETIT MUET NE FUT PAS OUBLIE. ON DONNA UNE BELLE MAISON AU PECHEUR. ORCAN FUT CONDAMNE A LUI PAYER UNE GROSSE SOMME ET A LUI RENDRE SA FEMME ; MAIS LE PECHEUR, DEVENU SAGE, NE PRIT QUE L'ARGENT. NI LA BELLE SEMIRE NE SE CONSOLAIT D'AVOIR CRU QUE ZADIG SERAIT BORGNE, NI AZORA NE CESSAIT DE PLEURER D'AVOIR VOULU LUI COUPER LE NEZ. IL ADOUCIT LEURS DOULEURS PAR DES PRESENTS. L'ENVIEUX MOURUT DE RAGE ET DE HONTE. L'EMPIRE JOUIT DE LA PAIX, DE LA GLOIRE, ET DE L'ABONDANCE ; CE FUT LE PLUS BEAU SIECLE DE LA TERRE : ELLE ETAIT GOUVERNEE PAR LA JUSTICE ET PAR L'AMOUR. ON BENISSAIT ZADIG, ET ZADIG BENISSAIT LE CIEL.